Ivey, le sens de l’histoire
Le monde du poker en rêvait, il l'a fait : une décennie après son dernier triomphe sur les WSOP, Phil Ivey se pare d'une onzième breloque en s'adjugeant le Deuce to Seven Triple Draw Championship. Au nombre de titres gagnés, le Californien dépasse désormais Doyle Brunson, Johnny Chan et Erik Seidel, cimentant un peu plus sa légende dans l'histoire du poker.
Event #29 : 10 000 $ Limit 2-7 Triple Draw Championship (6-Handed)
On vous le disait : depuis le début de ces WSOP, de nombreux joueurs ayant déjà contribué à écrire l'histoire des Championnats du monde s'étaient illustrés, se passant une nouvelle breloque au poignet. La quatrième, la cinquième, parfois même la septième... Mais ce jeudi, en finale du Deuce to Seven Triple Draw Championship à 10 000 $ l'entrée, l'enjeu dépassait le cadre d'une simple addition de bracelets : l'une des grandes légendes vivantes du poker, une vraie, avait l'occasion de prouver à la face du monde qu'il était toujours capable d'exploits à la mesure de son mythe. Oui, dix ans après avoir remporté son dixième bracelet WSOP, Phil Ivey se retrouvait en position d'en ajouter un onzième à sa collection, en jouant l'ultime phase 3-handed de ce tournoi, pour montrer que le temps n'avait pas d'emprise sur son talent.
Un pari loin d'être gagné d'avance, cependant : shortstack et opposé à deux autres pointures,
Jason Mercier et
Danny Wong, le champion n'allait certainement pas avoir la partie facile. Mais le jeu en valait la chandelle : 2ᵉ au classement du nombre de bracelets collectés, à égalité avec
Doyle Brunson,
Erik Seidel et
Johnny Chan (10 bracelets chacun), Phil pouvait laisser les trois autres légendes dans le rétro, et passer seul deuxième de ce listing derrière
Phil Hellmuth et ses 17 titres. Bref, forger l'histoire du jeu, une nouvelle fois, lui qui a longtemps été considéré comme le meilleur joueur de la planète à l'heure où le poker explosait à la face du monde.
Et ce rendez-vous, Phil ne l'a pas raté. Après un Day 3 qui s'était éternisé, la faute à plus de cinq heures de jeu en 4-handed sans élimination, le tenant du titre Benny Glaser a fini par rendre les armes. La nuit était alors bien avancée, et on décidait de couronner le roi de la variante le lendemain, dès 16 heures. Comprenant l'enjeu de cet épilogue, les organisateurs avaient choisi de faire jouer les protagonistes au milieu du Convention Center, et non pas sur le plateau télévisé. L'occasion pour les spectateurs d'admirer au plus près l'idole, à quelques mètres dans le rail : après l'élimination de Jason Mercier en 3ᵉ place, le spot s'est rempli à vue d'œil pour le heads-up, les fans de poker ayant conscience qu'ils pouvaient alors assister à un moment historique pour le monde des cartes.

Pourtant, rien n'était joué d'avance, et Ivey le savait certainement mieux que personne. Lui qui était shortstack au départ de ce Day 3 se retrouve alors chipleader pour l'ultime duel avec 5,3 millions de jetons contre 3,6 chez l'excellent
Danny Wong. Mais cette fois, pas de renversement de situation : comme depuis le début de journée, Phil trouve du gros jeu pour mettre KO son adversaire, terminant assez rapidement le travail avec une énième
wheel (7-5-4-3-2, le jeu max en Deuce to Seven) touchée dans cette journée de jeudi, comme un symbole que les Dieux du poker avaient choisi de favoriser une nouvelle fois l'un de leurs plus illustres élus.
Voilà, c'est fait : pour la onzième fois, Phil Ivey est champion WSOP. Après avoir checké son clan, dont un Benny Glaser visiblement content pour l'Américain, et embrassé sa compagne, il était l'heure pour le champion de poser pour la photo officielle. Un moment quasi solennel suivait : des dizaines de téléphones tentaient alors d'immortaliser l'idole, qui posait rapidement pour cette photo finish, applaudi par un public émerveillé.
C'est là qu'on se rend compte du poids de la légende : dans les minutes suivantes, après l'interview au micro de
Pokernews, chaque journaliste tente alors d'arracher quelques mots à Phil, alors que chacun sait qu'il n'a jamais trop aimé le petit jeu des déclarations aux médias. Tentant presque de prendre la fuite, suivi par une horde de supporters et de reporters, le vainqueur consent à accorder quelques instants par-ci par-là, ayant visiblement envie de décamper au plus vite. Ces mots, les voici, pris un peu en vrac par les nombreux médias présents :
"C'est toujours agréable de gagner. Moi, ce qui m'intéresse, c'est juste de jouer. Je suis motivé. Je veux continuer à gagner." Et le record de Phil Hellmuth, alors ?
"Je ne pense pas à ça. Je veux juste pouvoir jouer quand je le peux."Bah oui : dans le fond, Phil Ivey est juste un passionné de poker de la première heure, qui a joué ses premières parties en casino avant même d'avoir atteint l'âge légal de 21 ans, grâce à une fausse carte d'identité (n'essayez pas de faire ça sur Winamax !). Un père de famille de 50 ans ayant désormais de nouvelles priorités, qui confie ne pas souvent être en ville à Las Vegas, mais qui veut en profiter un max quand il tient des cartes. En fait, les titres et les records, c'est surtout les fans de poker que cela intéresse. L'argent ? Phil, qui encaisse ici 347 440 $ pour sa victoire, en a gagné suffisamment : plus de 44 millions en tournois live à ce jours (10ᵉ de la All-Time Money List), sans compter les sommes folles glanées en cash-game (et encore, on ne connait pas ses résultats en parties privées). L'impression, c'est que Phil Ivey semble détaché de tout cela, n'ayant manifesté aucune joie excessive après avoir conclu, malgré ces dix ans d'attente depuis son dernier bracelet. Une poker face toujours impeccable - l'une de ses marques de fabrique -, qui n'a pas pris une ride depuis des années. Même si Phil, qui portait des lunettes de vue pour jouer, cachait cette fois son crane rasé sous un bob pas franchement du meilleur effet.

L'histoire, Phil Ivey l'écrit, mais presque malgré lui : détenteur de trois bracelets à l'âge de 30 ans, de dix à 40 piges, il a donc dû, on le répète, attendre dix ans pour s'adjuger le onzième. Les bracelets d'Ivey, c'est un résumé de l'histoire du poker. D'abord parce qu'aucun n'a été remporté en No-Limit Hold'em. Et surtout parce que ses victoires s'étalent désormais sur trois décennies. Le premier, il remontait à l'an 2000, avant l'ère Internet, face à la légende des 70's
Amarillo Slim. Les suivants, face à des pros révélés à la télé lors des années 2000. Avant ce onzième (et, on l'espère pour lui, pas le dernier) face à la génération Internet : Danny Wong, jeune loup des WSOP, et Jason Mercier, l'une des grandes révélations des années 2010 et lui-même détenteur de six bracelets.
Quels que soient les joueurs en face, Phil Ivey, qui s'est aussi essayé avec un certain succès sur le circuit des high-rollers modernes depuis deux ans, parvient décidément toujours à tirer son épingle du jeu. C'est ça, les légendes.
Les onze bracelets de Phil Ivey
Année |
Tournoi |
Gain |
Runner-up |
2000 |
2 500 $ Pot Limit Omaha |
195 000 $ |
Amarillo Slim |
2002 |
2 500 $ 7 Card Stud Hi/Lo |
118 440 $ |
Sirous Baghchehsaraie |
2002 |
2 000 $ S.H.O.E. |
107 540 $ |
Diego Cordovez |
2002 |
1 500 $ Seven Card Stud |
132 000 $ |
Alfredo Leonidas |
2005 |
5 000 $ Pot Limit Omaha |
635 603 $ |
Robert Williamson III |
2009 |
2 500 $ Deuce to Seven Draw Lowball (No-Limit) |
96 361 $ |
John Monnette |
2009 |
2 500 $ Omaha/7 Card Stud Hi/Lo |
220 538 $ |
Ming Lee |
2010 |
3 000 $ HORSE |
329 840 $ |
Bill Chen |
2013 |
2 200 AUD $ Mixed Event (WSOP Australie) |
51 800 $ |
Brandon Wong |
2014 |
1 500 $ Eight Game Mix |
166 986 $ |
Bruce Yamron |
2024 |
10 000 $ Limit 2-7 Triple Draw Championship (6-Handed) |
347 440 $ |
Danny Wong |
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