Alban Juen, jeu agressif pour scores massifs
Il a signé le plus gros gain français aux tables de Las Vegas depuis le début de l'été : en s'imposant au Wynn pour 380 767 $, Alban Juen poursuit son incroyable run sur les tournois live à middle buy-ins. L'occasion de revenir avec l'Avignonnais sur ce nouveau sacre, de percer le secret de ses performances à répétition, et de nous raconter sa love story avec Las Vegas, depuis son éclosion au Main Event des WSOP 2012. Rencontre avec un joueur tout sauf vintage.
Crédit photo : Wynn
Depuis quelques années, le reportage des WSOP sur Winamax débute peu avant la mi-juin. Mais peut-être que finalement, on devrait arriver plus tôt la prochaine fois. Car les Championnats du Monde, ça commence dès la fin mai. Et surtout, parce que les Français ne nous attendent pas pour perfer à Sin City. En témoigne la victoire de Thibault Périssat au début du mois sur le Super Turbo Bounty à 1 000 $, bien sûr, pour le premier bracelet français de l'été... Mais aussi celle d'Alban Juen, passée un peu plus sous les radars.
Sur un tournoi à 1 100 $ au Wynn, l'Avignonnais a pourtant remporté le 30 mai le plus gros gain encaissé jusqu'ici par un Tricolore depuis le début de l'été vegassien : 380 767 $ tout de même. Le top cash live de sa carrière, devant sa 5e place à l'ISPT en 2013 (290 000 € après deal), de quoi passer la barre du million de dollars de gains en live et de quoi perpétuer une bonne tradition française : même lors des années où les Bleus ne gagnent pas de bracelets, ils parviennent toujours à s'illustrer lors des festivals annexes, comme Thibault Letort ou Pierre Merlin l'an passé. Alban a peut-être même réussi le meilleur score depuis belle lurette à ce niveau : hormis les 259 114 $ remportés par Antoine Saout en 2016 sur un tournoi Deepstack Extravaganza au Venetian (EDIT : et les 402 125 $ pris par Antonin Teisseire la même année sur le même festival, merci Veunstyle), on n'a pas le souvenir d'un chèque aussi élevé banqué par un Tricolore en dehors des tournois WSOP.
Bref, Alban Juen a validé une performance majuscule, le tout en seulement deux semaines passées à Vegas. Et ce timing, le Sudiste, qui a débarqué dans le Nevada dès le coup d'envoi des World Series, ne l'avais pas choisi au hasard : "Il faut bien spécifier que tous les regs européens n'étaient pas encore arrivés, à cause des Tritons et des WSOPC Cannes, explique le joueur de 33 ans. Je me suis dit que plus tôt j'arriverai à Vegas, moins il y en aurait aux tables. Je pense que c'était un bon read. J'avais décidé de jouer quasiment tous les tournois compris entre 1 000 et 5 000 $ durant trois semaines, et donc j'avais coché cet event au Wynn car il y avait deux millions de dollars garantis." Et visiblement, le plan s'est déroulé sans accroc, le field semblant avoir répondu aux attentes d'Alban : "Il était composé en majorité d'Américains, poursuit le grinder. C'était une bonne nouvelle, exactement ce que j'attendais." Pourtant, cela ne l'a pas aidé lors d'un début de tournoi raté, où il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même : "Je crois que j'ai fait un missclik sur ma première bullet. En gros, j'ai voulu relancer à 1 000 au bouton avec 9-3 suités, mais j'ai open 15 000. Un mec a fait tapis pour 20 000 jetons, et j'ai dû payer. Il avait As-Roi off, et je n'ai pas gagné le coup." Résultat ? Re-entry inévitable, et seconde bullet.
Alban a terminé 105e de la Grande Finale du WiPT cette année
Là, tout a été beaucoup plus fluide. "Je monte un poil plus que l'average après le Day 1, on était ITM à ce moment, raconte Alban. Au jour 2, j'avais encore des bonnes tables. Il n'y a pas eu de coup majeur, à part une main où j'ai bluffé à tapis alors que le mec était commit : il a misé 1 million, et j'ai shove 1,5 million. Il y aussi un gros call où mon adversaire overbet shove pour un peu plus d'une fois et demi le pot, et je call avec troisième paire : il avait un monster draw. Ce devait être un 55/45 pour moi, j'avais Dame Huit sur A-8-2-J. Dans ce genre de spots, il n'a pas trop de value hands, car il va chercher à valoriser pour moins cher. Je savais qu'il avait très souvent double gutshot ou open ended flush draw par exemple : c'est ce qu'il avait." Le début de la déroulade (ou presque) pour Alban : "J'ai pris ce gros pot, et à partir de ce moment tout à été plus simple, même si à 40 left il y a deux-trois fois où c'était un peu chaud. En demi-finales, j'avais un stack d'à-peu-près la moyenne. J'ai relancé 70 à 80% des mains, j'ai tout open et il n'y avait pas trop de résistance. J'avais la chance d'avoir un très bon joueur à ma droite, et donc il n'a pas pu trop playback. Bon, j'ai aussi gagné un flip qui m'aurait fait mal, As-9 contre J-10 suités. À ce moment-là j'ai 8 millions, et le pot en faisait 10..."
De quoi faire grossir ses piles de jetons, et arriver en table finale avec le statut de large chipleader : "J'ai commencé avec 21 millions, contre 15 millions, 10 millions, et 4-5 stacks à 5 millions chez mes adversaires. Et pareil, j'ai "VPIP" toute la TF. J'ai tout open, et il n'y a pas eu trop de résistance. Honnêtement, je n'ai pas eu besoin de trop de réussite, car j'avais une position vraiment très préférentielle à table. Et j'ai eu un petit setup favorable en début de TF, où j'ai passé As-Dame contre As-10 contre un mec qui avait dix blindes." Ensuite, c'était tout droit pour Alban, qui est parvenu à conclure sans coup férir en heads-up contre son runner-up John Pierce (255 250 $).
Mais pourquoi est-il aussi performant ?
Alban au Main Event des WSOP 2017
Un coup d'éclat de plus à mettre au crédit d'Alban Juen, que l'on voit régulièrement au sommet des fiches de résultats. Depuis la reprise des tournois live après le Covid, le Sudiste a ainsi réussi quelques gros scores : par ordre chronologique, une seconde place sur le FPS Aix-en-Provence en 2022 pour 85 970 €, une victoire sur le High-Roller des FPS Paris quelques mois plus tard pour 81 200 €, et encore un titre sur les FPS Aix-les-Bains en octobre dernier, pour 90 070 €. Une collection de perfs' digne des meilleurs grinders de tournois live français : sauf que pour Alban, cela a été ratifié sur un échantillion de tournois beaucoup plus faible. "Je dois faire une dizaine de festivals live par an, détaille t-il. Les festivals EPT et d'autres tournois si ce n'est pas très loin, et si ça me va au niveau des dates, ainsi que Vegas. Je fais quinze tournois par an, peut-être vingt en comptant les re-entries."
Mais quelles sont les raisons d'un ratio de résultats si positif ? Deux facteurs principaux, selon le principal intéressé : "Déjà, il y a forcément une part de run good, sinon c'est impossible. Tout le monde le sait et s'en rend compte. La seconde raison, c'est que je joue hyper-agressif, et l'agressivité, ça paye. C'est ce que je dis tout le temps, c'est un reward : plus tu joues agressif, moins les joueurs vont vouloir jouer contre toi, moins il vont attaquer tes blindes, moins ils vont défendre les leurs, parce qu'ils savent qu'à n'importe quel moment il peuvent se faire 3-barrels. C'est une sorte de fear equity, et contre les profils middle buy-ins en live, c'est extrêmement positif. Je ne pense pas que ça marcherait sur les gros buy-ins, où les joueurs ont un niveau technique élevé et comprennent ce qui est en train de se passer. Je sais sur quels types de tournois j'ai le niveau et ceux sur lequel je ne l'ai pas : je joue jusqu'à 10 000 $ de buy-in max, car au-dessus, j'aurai du mal à développer le jeu que je veux. Mais sur les mid-stakes, ça marche très bien. Ici, le field overfold sur tous les coups à tapis, alors que sur Internet, si tu sors sur un mauvais call, tu vas jouer un autre tournoi. À Vegas, tu vas peut-être faire un ou deux deepruns, t'as pas envie de sortir sur un mauvais read..."
Un mode opératoire qui semble donc parfaitement fonctionner à Sin City, où Alban se sent à l'aise : "C'est une destination que j'adore, il y beaucoup de fair-play à table, il y a des grosses parties, que ce soit en MTT ou en cash-game, toujours quelque chose à faire. C'est cool quand ça se passe comme ça : on sait tous qu'il y a des Vegas où on se cagoule. L'orga est cool, le Wynn c'est vraiment top. Je pense que je vais y retourner en décembre pour le WPT Championship, ce sera à la maison."
So 2012
Outre la bonne vieille tradition française, ce titre au Wynn permet aussi à Alban Juen de poursuivre une histoire d'amour avec Sin City qui dure depuis douze ans déjà : à l'époque, "HWolowitz", talentueux grinder issu de la génération 2010 qui avait explosé lors de la régulation du poker en ligne en France, avait vécu son premier gros deep run en live, sur le Main Event des WSOP. Rien que ça. C'était donc en 2012 (année Greg Merson, avec Gaëlle Baumann bubble-girl de la table finale), et l'Avignonnais avait terminé 59e et quatrième meilleur Français, au cœur d'un bon cru tricolore sur le Big One : "C'est mon meilleur souvenir poker, affirme Alban. C'est le tournoi où tu as le droit de rêver. Tu sais que tu peux devenir millionnaire si tu fais top 9, c'est un life changing possible pour tout le monde. Tu as une structure de malade, si tu perfes, tu as des opportunités... Ça lance une bankroll, ça permet de rencontrer du monde, ça a permis plein de choses. J'ai le souvenir qu'à l'époque au Rio, il y avait 650 tables pour le tournoi, et quand t'arrives au Day 6, il ne reste plus que huit tables dans une seule room. À ce moment, il n'y avait pas de tournoi organisé pendant la fin du Main, et ils enlevaient les tables au fur et à mesure. Et la petite musique d'Ennio Morricone au début de chaque journée... Ce tournoi a quelque chose de spécial, pour moi c'est le plus beau de l'année, et c'est un crève-cœur de ne pas le jouer cette année. Mais j'ai un mariage et je ne me voyais pas faire l'aller-retour."
Et puis, Alban ne veut surtout pas trop en faire : "Physiquement c'est hyper éprouvant. Si tu décides de faire du cash et d'enchainer les tournois, c'est une ville qui te prend beaucoup d'énergie. Je n'y vais que quinze jours pas plus, et je me dis que c'est vraiment un bon deal, parce que quand j'ai arrêté de jouer cette année, j'étais déjà cramé. J'ai fait le programme que j'avais prévu, mais je n'ai pas poussé plus loin."
Ce titre estival démontre également une certaine longévité dans le poker de haut niveau pour Alban, ce qui est finalement assez rare chez les joueurs de sa génération : "J'ai commencé à 18 ans avec l'ancienne génération, se souvient l'Avignonnais. Ça fait bizarre, car quand j'arrive sur un tournoi je ne connais plus personne : il ne reste que Paul-François Tedeschi, Alex Réard avec qui j'ai passé pas mal de temps à Vegas, Antoine Saout même si je ne l'ai pas croisé, Erwann Pécheux... Mais c'est plaisant de rencontrer aussi des petits jeunes qui sont ultras-motivés et qui travaillent très bien." Enfin, à 33 ans, Alban n'est pas un vieux, loin de là, lui qui a changé de lifestyle, ayant quitté Londres pour la campagne bourguignonne. Prochaines échéances pour lui sur le circuit ? L'EPT Barcelone ou l'EPT Chypre, et donc le WPT Championship au Wynn. Histoire d'améliorer encore le ROI ?
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