WSOP 2023-Rubriques - À la une

The Most Dangerous Game

Level 19: 10 000 / 15 000, BB ante 15 000 Main Event 10 000 $ (Day 4)

Martini renversé

Julien Martini
Avec 110 blindes en sa possession avant la bulle et un palmarès qu'on ne présente plus, il était l'un des Français les mieux armés pour faire un beau Day 4. L'épopée de Julien Martini s'est pourtant brutalement achevée à la mi-journée. Une énorme confrontation entre les Dames et les As du Belge Jonathan Abdellatif (l'argent est parti sur le turn d'un board en apparence innocent), deux paires max qui se heurtent à un brelan floppé : il n'a pas fallu beaucoup plus pour stopper net l'ascension du quadruple détenteur de bracelets. Une sortie précipitée qui nous offre un rappel salutaire : dans tous les tournois, même les plus deep, on est toujours à deux déconvenues d'une sortie de piste. - Benjo

Ribouchon dans le carré

FLorian RIbouchon
Autre sortie de marque : celle de Florian Ribouchon. On n'a pas trop de détails sur le seul millionnaire français de ces WSOP à ce jour (après sa place de runner-up sur le Millionaire Maker)... Une bribe de main nous est parvenue sous la forme d'une paire d'As qui n'aurait pas tenu le coup contre Dame-6... la faute à un board Q-Q-x-x-Q. Bon, on imagine que les tapis n'ont pas volé préflop. - Benjo

Moa assainit son stack

Mohamed Assaini
Dissimulé derrière son masque, planqué derrière sa casquette gravé de ses initiales, Mohamed Assaini se faisait discret sur ce Day 4. Parti avec une dizaine de blindes, le reg parisien fait le dos rond le temps de passer la bulle, avec un maigre tapis de 53 000. Une fois dans l’argent, Moa sort de sa boite. « J’ai fait un premier double-up sur un flip avec As-Roi. Derrière, je double encore sur une belle rencontre avec K-J. Ca vient K-3-x sur le flop, mon adversaire à K-3. On part à tapis, et ça vient A turn, A river ». Un run-out savoureux, permettant au restaurateur de passer la barre des 400 000.

Juste avant le diner-break, Assaini se permet alors un move audacieux. Open 33 UTG, défense de la grosse blinde et le flop vient 965. Premier barrel, payé. Turn 2, deuxième barrel, payé encore et river 4. Moa vient de rentrer la quinte invisible. Un 3e barrel bien gras, c’est payé et voilà comment passer de 53 000 à 700 000. - Fausto

Eychenne est mat

Thomas Eychenne
Est-il possible de deep run les deux plus gros tournois du monde la même année ? Pendant un temps, Thomas Eychenne nous a fait penser que oui. Parti avec un stack moyen, le joueur a su se maintenir autour de la moyenne durant de longues heures, sans pour autant toucher de mains. « Je suis card-dead depuis quatre heures » m’expliquait le finaliste PSPC à une demi-heure du diner break. LaWatch ne s’affole pas et attend sagement son spot, à une table plutôt docile. Le voilà qui se présente enfin.

Open A-K au HJ, 3-bet du bouton et la parole revient sur Eychenne. Avec son image et la premium en main, Thomas ne se pose pas de questions : 4-bet tapis pour ses 35 blindes. Son adversaire mettra une petite minute à call… Q-Q. Le plus classique des flips. Un baby-board et Eychenne sort autour de la 800e place, après un Day 4 légèrement amer.

« C’est vraiment dommage, j’avais une table full récréa, peut être la plus facile du field. C'étaient des barres de fer, ils foldaient beaucoup trop. Tu me diras, moi aussi, mais je n’avais vraiment pas de main. Je sors sur ma seule vraie main du Day ».

L’homme qui prenait 800 000 $ il y a quelques mois aux Bahamas se contentera de 27 500 $. On devrait sans doute le revoir tout de même sur les derniers gros rendez-vous du festival, et notamment le 10 000 $ 6-max. - Fausto

Anecdotes, statistiques et random photos

4 contre 3 : C'était le rapport de force, en début de Day 4, entre les anciens membres du Team Winamax et les actuels. Avantage, donc, à ceux qui ont quitté le Team : Sylvain Loosli, Arnaud Mattern, Adrien Guyon et Loïc Debregeas étaient en surnombre face à Davidi Kitai, Kool Shen et Estelle Cohuet.

37 : le nombre de Français éliminés durant les 4 premiers niveaux du Day 4.

22 : le nombre de Français encore en course avant le 5e et dernier niveau de la journée. On vient de passer sous la barre des 600 joueurs restants !

La main la plus incroyable qu’on n’avait pas eu le temps de raconter : nous sommes à la bulle, la vraie bulle. Le board est du genre Roi-x-x (avec deux piques), turn brique, rivière As. Quand l’As tombe, le gros stack fait tapis. SNAP CALL du joueur couvert pour 350 000 (plus de 40 blindes). Vous ne devinerez jamais la main du joueur couvert : Roi-Valet. Une vista hallucinante : le gros stack était en bluff avec un tirage couleur ! Quand Jack Effel est arrivé, il a tellement rien compris qu’il a fini par dire au micro « Bon, il n’a pas bust » avant de se barrer.

Valise
Il y en a qui n’avaient vraiment aucune confiance dans leurs chances de passer ce Day 4…

Double massage
En 17 ans de reportages WSOP, on croyait avoir tout vu... jusqu'à ce qu'on tombe sur la masseuse qui fait du multitabling
Clément Richez
Clément Richez était à deux doigts de faire appel à des déménageurs lorsqu'il lui a fallu changer de table
Camille Brown
Ça sera une 775e place pour Camille Brown. Un poil mieux que sa 876e place de l'an passé. Prédiction : elle fera 674e en 2024

L’été où tout le monde est passé tout près

Comme nombre de ses compatriotes avec lui, Julien Montois a manqué le bracelet d'un cheveu L'ancien ingénieur termine runner-up de l'Event #77 (Lucky 7's NLHE 777 $) Il sort de sa première finale WSOP avec 400 777 $

Julien Montois
Ils ont beau être tapis dans l'ombre du mastodonte Main Event, ils se font entendre. Eux, ce sont les tricolores dans les gradins du plateau télé secondaire, en train de crier et d'applaudir pour encourager leur poulain du jour, sur la finale du jour, celle du Lucky 7's. Un tournoi gimmick autour du chiffre universellement considéré comme porte-bonheur : 777 $ l'entrée, 7 joueurs par table, et 777 777 $ pour le vainqueur.

De Sarah Herzali sur le 6-max à 1 500 $ à Jérémy Oléon sur le Main Event, en passant par Alexandre Réard, Axel Hallay, Jean Lhuillier, Julien Sitbon, Julien Martini et bien d'autres, les occasions de vibrer furent presque quotidiennement pour la diaspora française de Vegas depuis le lancement des WSOP il y a six semaines. Sur l'une des épreuves les plus populaires, on en a même eu trois à supporter en simultané. Parmi ceux qui crient le plus fort : Florian Ribouchon. Comme une forme de renvoi d'ascenseur pour tous ceux qui ont crié pour lui jusqu'au bout du Millionaire Maker.

Toutes ces perfs ont eu droit à la couverture qu'ils méritent dans les colonnes de votre coverage préféré, tout en haut de la section « A la une ». Mais jusqu'à présent, aucune ne s'est achevée avec une photo montrant le bracelet et des dizaines de visages rigolards. La fin des World Series of Poker est devant nous : dans huit jours très exactement, les salles de bal du Horseshoe et du Paris seront intégralement vidées de leurs occupants et de leur équipement. Les remplaceront une armée de shampouineuses, prêtes à laver la moquette des foulées de dizaines de milliers de joueurs ayant tenté 50 jours et 50 nuits durant de remporter l'un des 95 bracelets mis en jeu sur cette 54e édition.

Julien Montois
Huit jours et une petite vingtaine de tournois : c'est peu, pour tenter d'enfin faire résonner la Marseillaise à Vegas cet été. En tout cas, ce n'est pas demain que les couplets de Rouget de Lisle seront hurlés au Horseshoe : Julien Montois, le héros du jour, a obtenu le même résultat que Sitbon et Ribouchon : la dernière avant le bracelet. On dit souvent que lorsqu'on termine deuxième d'un tournoi de poker, on ressent la même chose qu'en terminant deuxième d'un combat de boxe. Malgré les dollars qui se comptent en centaines de milliers, malgré la satisfaction d'avoir fait mieux que 99,9 % des inscrits (7 300 ici), cet adage n'a jamais été démenti.

« Comment je me sens ? Je me sens comme le mec qui n'est pas sur la photo ! », lâche l'ancien ingénieur, que l'on avait rencontré pour la première fois sur l'édition 2019 du WPO Dublin, un peu plus d'un an après sa transition vers le poker pro. Mais, derrière la déception de circonstance pointait déjà la satisfaction d'avoir signé la meilleure performance de sa carrière en live : un colossal cash à 400 000 $ envoyant aux oubliettes son high score (un titre à 31 100 € sur une étape lilloise du Barrière Poker Tour, qui remontait à 2014). « En début de finale, je visais le Top 4, donc c'est déjà ça. Aller aussi loin, c'est une aventure de ouf. C'est un luxe, le rêve de tous les joueurs. »

Julien Montois
Le heads-up final contre l'Américain Shawn Daniels n'a pas duré longtemps... "On a tous les deux joué super agressivement." Dans les conversations entre potes d'après finale, un sujet fâcheux monopolisait les débats : la taxation à la source des gains qui menaçait Montois sur le sol américain, le pro n'ayant pas eu la possibilité de se mettre d'équerre avec le Fisc local. Il n'est pas le seul parmi les Français perfant à Vegas, loin de là : depuis un an, le sujet est un véritable sparadrap du Capitaine Haddock pour la communauté tricolore, pour des raisons ubuesques que nous avons eu l'occasion d'évoquer lors de l'édition 2022 des WSOP. Depuis maintenant deux éditions, nombreux sont les joueurs français, amateurs et pros mélangés, qui ont vu leur quart de gloire en partie gâché par ce maelstrom administratif.

En attendant de trouver une solution et récupérer l'intégralité de son dû, Julien Montois avait tout de même envie de se projeter vers l'avenir. Que va-t-il faire de ses gains ? Il va falloir payer les stakeurs dans un premier temps… « Mais pour le reste, je ne vais pas faire de folies : je vais me payer une baraque ! »

Julien Montois
Julien Montois
Julien Montois

Quatrième finale de l’été pour Joao Vieira

Event #80 : H.O.R.S.E. High Roller 25 000 $

Joao Vieira
Chaque été depuis son arrivée dans le Team Winamax, c'est la même chose : Joao Vieira s'astreint à l'un des programmes les plus chargés au sein de la confrérie des pros. Pourquoi se limiter aux seules épreuves de No-Limit Hold'em lorsque l'on aime jouer à tout, et que l'on sait jouer à tout ? Depuis le 1er juin, le Portugais fait partie des meubles sur les WSOP, jonglant entre les Day 1, Day 2 et Day 3 sur tout ce que le calendrier des Championnats du Monde compte d'épreuves pour spécialistes.

Six semaines après son arrivée à Vegas, son acharnement n'a pour le moment pas été récompensé par un troisième bracelet. Mais c'est bien tout ce qui lui a manqué au cours d'un été où on l'a vu absolument partout : 8e sur l'un des premiers High Roller au programme (25 000 $ l'entrée), 7e sur le Deuce to Seven Triple Draw à 10 000$, 10e en Mixed Triple Draw, 8e sur le Stud High-Low Championship… plus quelques autres bricoles. Dernier coup d'éclat en date hier soir : une quatrième place sur la très prestigieuse finale du HORSE High Roller à 25 000 $, en compagnie de Mike Matusow, John Henninghan, Josh Arieh, Scott Seiver, excusez du peu.

Longtemps chip-leader, Joao s'est fait crucifier à quatre joueurs restants sur un énorme pot de Razz où son 10-7-6-4-As c'est fait battre à la pointure par le 10-7-5-4-3 de Dan Heimiller. L'an passé, c'est sur la toute dernière ligne droite du festival. Il lui reste encore une poignée de chances de signer un triplé WSOP. Certes, la plupart de la dizaine des épreuves restant au programme seront jouées en No-Limit Hold'em. Mais c'est bien dans cette variantes que le numéro 1 portugais a remporté ses deux titres de Champion du Monde…

Joao Vieira
Joao Vieira
Joao Vieira
Joao Vieira
Joao Vieira
Joao Vieira
Joao Vieira

Event #84 : NLHE High Roller 50 000 $

Alex Kulev Winner Photo
Alex Kulev (Bulgarie) 2 087 073 $

Deux fois deuxième de 25K à Prague en décembre dernier ; vainqueur du 100K à Monte-Carlo en mai ; quatrième du Super High Roller à 250 000 $ il y a un mois et désormais vainqueur du High Roller à 50 000 $ : ne cherchez plus le nouveau petit prodige de la scène high stakes, vous l'avez trouvé et il répond au nom d'Alex Kulev ! "Remporter un bracelet a toujours été mon rêve, et je ne pouvais rêver mieux que de gagner sur un tournoi comme ça contre ce genre de field. Les meilleurs au monde sont venus jouer ce tournoi !" Il ne croit pas si bien dire, ce 50K ayant enregistré une hausse d'affluence massive par rapport à l'an dernier (176 entrées contre 107), lorsque João Viera était reparti avec le titre. Pourtant, Kulev ne s'était pas exactement mis dans les meilleures conditions, s'enregistrant le plus tard possible, pour entrer dans le tournoi avec 15 blindes. "Quand les cartes veulent vous faire gagner, elles vous font gagner !," a admis le Bulgare, qui profite de cette gagne à plus de 2 millions de dollars pour grimper tout en haut de la All Time Money List de son pays, devant les tauliers Ognyan Dimov et Dimitar Danchev. Et ce, à seulement 28 ans. Comment on dit "monstre" en bulgare ?

176 inscrits (re-entries inclus) Pas de Français ITM Photo : WSOP.com

Le Roi Sitbon prend sa couronne

Il était déjà l’homme du match de ces WSOP. Au bout d’un festival exceptionnel, Julien Sitbon remporte le premier bracelet tricolore de cette édition 2023. La juste récompense pour un grinder qui n’en finit plus d’étonner et qui s’envole encore un peu plus vers les hauts plateaux du jeu. Joueur de Live par essence, c’est pourtant sur un 2 000 $ Online que Sitbon devient champion du monde.

Il conclut son été de folie par son premier bracelet et un gain de 170 000 $ après un tournoi improbable, émaillé de déconnexions et de road-trip à travers Vegas. Il voulait un bracelet avant ses 40 ans, Julien réalise son rêve avec une petite semaine de retard, qu’on lui tolérera volontiers.

Julien Sitbon

C’était une fin de Vegas bien triste pour le clan français. Absent de la dernière ligne droite du Main Event, les grinders bleus se morfondaient en voyant le compteur de bracelet bloqué à zéro. Mais quand les choses vont mal, on peut compter sur Julien Sitbon.

Déja auteur d’un très gros match sur ces WSOP, le maestro de l’équipe de France surgit encore dans les arrêts de jeu et place un coup de tête magistral, pour faire trembler les filets de Vegas, enfin.

Comme avec Zinédine Zidane en 2006, la France s’en est remis à son capitaine. Tout juste quarantenaire, le numéro 1 du classement GPI France a éclaboussé la compétition de son talent en multipliant les exploits personnel.

Une première occasion de but sur le 3 000 6-max, se heurtant à un double-poteau après un joli une-deux avec Samy Boujmala. Une deuxième un peu plus nette encore sur le 3 000 $ Freezout, où Julien dribble un à un les paliers pour se retrouver en un contre un face à Robert Schulz. Julien ne pourra remonter son désavantage en jetons et butera sur l’ultime obstacle allemand.

Infatigable, Julien Sitbon a continué le pressing, pour récupérer un ballon perdu dans le temps additionnel. Un 2 000 $ online, pas vraiment celui sur lequel on l’attendait, mais quand Julien tient une opportunité, il la saisit. Cette fois, la finition est clinique : Julien s’impose devant 551 joueurs, pour 170 000 $ et le bracelet de champion du monde.

La métaphore footbalistique n’est en rien tirée par les cheveux. Elle est amenée directement par le joueur, qui tisse de lui même le lien après avoir reçu le bracelet des mains de Gregory Chochon.

Virgile Turchi

« Cette année, je m’étais pas donné cet objectif de bracelet. Je t’en avais parlé : je voulais faire une TF, et gagner plus de 500 000, ce qui était énormissime. Au final, je fais une TF, puis une deuxième, où je vois le bracelet pas loin. A vrai dire, je n’aurais pas eu ce bracelet, ça n’aurait pas changé grand chose à mon bilan. Evidemment, c’est fait, c’est coché. Mais ce qui me parle dans le côté “champion du monde”, c’est qu’à la base, je viens du foot. Quand j’étais jeune, mon rêve c’était d’être pro. Je voulais jouer la coupe du Monde, il y aura les hymnes, la Marseillaise et je jouerai pour mon pays. Là, je me retrouve à jouer les Championnats du monde de poker. Même si c’est complètement différent parce qu’on joue individuellement, on était là à chanter la Marseillaise, il y avait quarante, cinquante français, et ça m’a touché. Pour moi, j’ai gagné la Coupe du Monde que je n’ai pas pu avoir. »

Déconnexion, resto japonais et grinding “road-trip”

Ce bracelet WSOP a été acquis sur un tournoi online à 2 000 $. Dis comme ça, on imagine un Julien Sitbon seul dans sa chambre, grindant sérieusement avec son set-up, son ordinateur, son casque, avec pour seul compagnie le livreur Uber-eats qui viendrait toquer à sa chambre pendant le deep-run. Pas vraiment, le tournoi de Julien a donné lieu à une histoire improbable, dont le joueur et ceux qui y ont participé se souviendront longtemps.

Julien Sitbon

« On arrive au Paris en voiture dans l’après-midi avec Virgile (Turchi), rembobine le héros de l’histoire. Moi j’allais jouer le 3k H.O.R.S.E et lui le Closer. Sur le chemin, on parlait des “décos” qu’on avait eu sur des gros tournois online et qui nous avait beaucoup couté. On mentionnait notamment un spot avec deux As, un autre avec As-Roi à la bulle, la connexion avait sauté et on se disait à quel point ça pouvait être horrible.

Bref, je joue mon H.O.R.S.E, je sentais que j’étais frustré, j’avais envie de jouer plein de coups et je me dis “je lance le tournoi Online à côté”, ça va me permettre de me focus et d’éviter de jouer trop de mains. Il s’avère que certains potes de Vegas ne font pas un très bon été. Je me suis dit, “bon je vais vendre un peu et si jamais c’est la belle histoire, ça sera cool pour tout le monde”. Donc j’ai vendu pas mal de pourcentages quelques potes, ce qui est assez rare pour moi.

Je commence à jouer sur mon téléphone et quinze minutes après, je bust du H.O.R.S.E. Virgile aussi, on repart tranquillement du casino », poursuit Julien, qui croise alors Nicolas Vayssières ».

Chèvre.Miel embarque les deux grinders pour une session shopping et Julien continue de jouer sur son téléphone sur le chemin, dans les boutiques et jusqu’au restaurant japonais où la bande de grinder a rendez-vous pour le diner.

« Le problème, c’est que c’est moi qui ait la voiture. Les autres ne conduisent pas ou ne sont pas sur l’assurance et je me retrouve donc à conduire, avec mon tournoi sur les genoux, reprend Sitbon. On arrive au Japonais et Ivan (Deyra) nous rejoint. Ils boivent bière sur bière et moi je suis à côté en train de cliquer. La bulle arrive et là, deux As. J’open, un mec me 3-bet, et tandis que je m’apprête à cliquer… Mon téléphone s’éteint. Plus de batterie ! Je me dis “quelle horreur, on venait d’en parler, il faut vite que j’aille chercher une batterie dans la voiture”, et c’est là qu’Ivan me dit “j’ai l’appli WSOP, joue sur mon téléphone” ».

Toujours bon d’avoir un top grinder online dans les parages. Sitbon parvient à se reconnecter in extremis, à sept secondes du “sit-out”. « Je parviens à clique-raise juste avant que ça saute. Le mec fait tapis en face As-Roi et je double à la bulle. Si Ivan n’est pas là, j’aurais jamais eu ce double-up ».

Le tournoi avance, 40... 30... 25 left ! La pression commence à monter, Julien ne veut pas être confronté à d’autres imprévus. « Je vais terminer le tournoi ici » déclare le joueur, dont le plan est cette fois contre-carré par les horaires du restaurant. « On ferme à 23H » informe le serveur. Rebelotte, Julien repart pour une session de poker automobile. Le tournoi se terminera à la villa.

« Je me retrouve encore avec ma partie, à conduire sur l’autoroute et jouer en même temps. Magnifique, j’ai que des 7-2, 6-3 et j’utilise toute ma time-bank à chaque fois pour jouer le moins de mains sur le trajet ». Arrivé à la villa, 12 left.

Julien s’isole dans une chambre tandis que les grinders guettent la partie depuis la pièce d’à côté et vient ce spot avec A10. « Je ne sais pas si je dois raise-fold ou faire tapis. Je finis par jam et ça fait call par un autre A-10… Et par deux As derrière ». Sitbon doit puiser dans ses ressources et rentre la flush river pour remporter ce coup énorme.

Un run fluide permettra à Julien de gagner sa place en finale, puis en heads-up, en entendant les supporters hurlés à chaque coup remporté.

« En HU, j’ai un spot où le mec me livre complètement et je le gagne ». Les potes d’à côté sautent dans tous les sens et viennent retrouver leur héros. Tout le monde finira dans la piscine. Sous les coups de deux heures du matin, Julien Sitbon vient d’être sacré champion du monde.

Sitbon

« C’était à l’arrache, confesse le joueur. Si ça avait pas été comme ça, je ne l’aurais jamais gagné. J’aurais peut être été plus en dilettante Le fait que j’ai vendu à des gens qui sont important pour moi, et qui ont pas fait un très bon Vegas, ça m’a fait kiffer et ça m’a donné encore plus d’abnégation ».

Julien Sitbon, c’est l’assurance-décagoule. Après un Vegas raté, il vous suffit de prendre quelques parts sur les derniers tournois de Sitbon et vous rentrez chez vous la bankroll rechargé.

« La perf’ à Amsterdam m’a débloqué »

Julien Sitbon

Il y a trois ans, Julien Sitbon était un top joueur du circuit national, enquillant les perfs entre 60 et 80k dans les différents clubs de France, ou sur quelques Sides EPT. L’année dernière, il franchissait un palier, en multipliant les performances sur le circuit international, jusqu’à ce premier score à six chiffres, acquis à Amsterdam. Hier, il a remporté sa troisième perf à six chiffres en un mois, au cours duquel il a explosé son record de gains (417 338 $ pour sa 2e place sur le 3 000 $ Freezout). Julien entre encore dans une autre dimension, en s’affirmant comme un prétendant incontournable sur les buy-ins hautes gammes, et sur les tournois les plus prestigieux du monde.

« Je pense que cette perf à Amsterdam m’a vraiment débloqué, affirme Sitbon. Ce qui est paradoxal, c’est que je n’ai jamais senti de pression par rapport aux montants, que ce soit à Amsterdam ou sur les autres finales. J’ai l’impression de bien ressentir l’ICM, sans pour autant l’avoir vraiment travaillé. Les tournois, c’est toujours le même chemin. Pendant deux ou trois jours, tu montes, passes la bulle, le nombre de table se réduit, les paliers, le HU… C’est un processus partitionné, qui est le même à chaque fois. Et puisque j’ai déjà gagné des tournois, je sais que je peux aller au bout ».

Le chemin est le même mais les adversaires ne le sont pas. Que ce soit face aux amateurs parisiens, aux field EPT ou aux Américains.

Julien Sitbon

« Avant, on était dans une range de buy-in qui était plus autour de 1 et 2k. Maintenant, je me sens très bien sur les 3-5k et même les 10k, que je joue de plus en plus. Ce que j’aime, c’est m’adapté. Et pour s’adapter, il faut différents profils. Que je joue Chidwick ou un Américain avec son chapeau, c’est un joueur comme un autre, il faut trouver les failles et se battre », analyse celui qui disait s'identifier à Davidi Kitai.

Avec trois finales WSOP, un record de gains en carrière et un titre de champion du monde, cet été de poker restera gravé à jamais dans la mémoire de Julien. Il pourrait également constituer un nouveau tournant dans la carrière du joueur, qui ne cesse de grimper vers les hauts plateaux du poker, et qui pourrait encore s’ouvrir de nouvelles portes.

« Ca dépend ce que t’entends par “porte”, rebondit le joueur. Si tu parles de sponsoring, de jouer les Triton… Le sponsoring, si les rooms reviennent vers moi, on en parlera avec plaisir, mais c’est quelque chose que je ne maitrise pas. Les Triton, c’était déjà en réflexion. J’ai cette idée de gagner au maximum, pour d’ici 4-5 ans, jouer un poil moins. Mais à l’heure actuelle, j’ai faim. J’adore ce que je fais, je prends du plaisir, j’ai juste envie de mieux sélectionner mes parties. C’est ce que j’ai fait sur ce Vegas là. Avec les années, je sais comment être optimal. Je sais ce qui me réussis, ce que je dois faire pour être meilleur. La porte quoi s’ouvre pour moi, c’est de réussir, mentalement et physiquement, à pouvoir être au meilleur à chaque fois que je m’assois à une table de poker. Réussir à trouver la clef, qui te convient à toi. Et je pense l’avoir trouvé ».

Cette faim sera-t-elle rassasiée par un titre en particulier ? Par un nombre de bracelets, une triple-clown ?

Julien Sitbon

« Je suis un compétiteur. Bien évidemment, je n’ai encore rien fait sur ce Main Event de Las Vegas. Ca reste dans un coin de ma tête. Il y a aussi des EPT, des WPT, mais je n’ai pas de but ultime. Je kiffe toujours, je joue, je parle avec les gens, je rigole, je découvre de nouvelles personnes. Ces deux dernières années, je me suis beaucoup plus ouvert. Je ne créais pas d’affinité avec les gens, je ne parlais pas de ma manière de jouer. Je me suis autorisé à le faire parce que c’est quand même un métier très solitaire et qu’il faut accepter de prendre du plaisir dans ces moments là. C’est dans cette continuité là que je veux aller ».

Julien Sitbon remporte son premier bracelet et l’unique français de cette édition. A moins que… Alex Réard et Farice Bigot sont bien placés à 15 left du 10 000 $ 6-max, de nombreux tricolores se sont lancés dans “les tournois de la dernière chance”, et même Sitbon n’en a pas terminé avec ces WSOP.

« Je n’ai pas fini, prévient le joueur. Il reste encore trois jours, je m’arrêterais après. Ensuite, j’aurais un mois de vacances tranquille où je ne vais pas toucher à une carte. Je vais aller en Tanzanie en safari avec ma copine, j’ai hâte d’y être et on verra pour la suite ». Julien a remarquablement dompté la jungle américaine. Qu'en sera-t-il de la savanne tanzanienne ? Pas de coverage prévu sur cette aventure, mais le Lion Sitbon nous a prévenu : sa faim est loin d'être rassasiée. Aujourd'hui, le roi du poker français a simplement pris la couronne qu'il lui était du.

U.S.A. ! U.S.A. ! U.S.A !

Victoire sans appel des États-Unis sur ce début de finale. Steven Jones, Daniel Weinman, Adam Walton ont éjecté un par un leurs concurrents européens. Déjà assurés de 4 millions, les trois hommes se battront demain pour 8 millions de plus. Main Event 10 000 $ (Finale - Fin de la première journée)

Jones - Walton - Weinman

Des « U.S.A. ! U.S.A. ! U.S.A. ! » résonnent à tue-tête dans l’Event Center. Ils parcourent les gradins, s’envolent vers le toit du plateau télévisé et se dispersent partout dans les couloirs du Horseshoe. À Vegas, on a l’habitude d’entendre le refrain préféré des supporters américains. Aujourd'hui, on l’entend avec plus de vigueur et de décibels. Une hystérie justifiée : sur ses terres, l’Amérique a marché sur l’Europe en finale de ses World Series of Poker.

Walton

Adam Walton incontrôlable après s'être offert la dernière élimination du jour, avec ce piège tendu à Jan-Peter Jachtmann

Steven Jones, Daniel Weinman, Adam Walton. Voici les trois héros de l’Amérique qui ont dynamité aujourd’hui la table finale du Main Event WSOP. Elle était pourtant également composée de six européens au départ de la journée. Six heures et six éliminations plus tard, Steven, Daniel et Adam se sont débarrassés de tous leurs adversaires étrangers et reviendront entre “Ricains” pour jouer le titre de Champion du Monde et les 12 millions de dollars à la gagne.

« C’est très bien, parce que nous avons besoin d’un champion américain. Ça fait quand même quelques années maintenant, réagit Steven Jones, rappelant le titre de John Cynn, déjà vieux de cinq ans. Je suis surpris que les choses se soient passées comme ça, mais c’est un très bon scénario. Ce sont sûrement les deux gars que je connaissais le plus parmi les finalistes, donc je suis très excité de retourner au combat contre eux demain » poursuit le grinder de l’Arizona, chipleader à la fin de cette première partie.

« La variance peut être très étrange, observe Adam Walton, plus pragmatique au moment de commenter ce scénario fou. La table s’est déroulée de cette façon, mais je ne pense pas que les Américains aient été meilleurs au poker que les autres. La chance en a voulu ainsi » poursuit le joueur de Seattle, qui retient surtout l’ambiance survoltée du public américain. « C’était une explosion ! C’est tellement fun de voir tous ces gens autour de nous qui nous supportent. C’est une chose que je ne vivrai qu’une fois dans ma vie, c’est très grisant de se retrouver dans cette position ».

Adam Walton

Ces trois hommes, on ne les connaissait pas vraiment. Enfin, on avait déjà entendu le nom de Daniel Weinman, qu’on vous définissait comme “Le pro préféré de votre pro préféré”. Un grinder redoutable, expérimenté, polyvalent, multipliant les braquages depuis près de quinze ans et que les Shaun Deeb et autres Ryan Riess s’arrachent dans les fameuses “Fantasy”, ces drafts virtuelles où les joueurs parient sur leurs homologues qui vont raser les WSOP.

Entre ses deux victoires WPT, ses moult finales WSOP et son bracelet acquis en PLO l’an dernier, le natif d’Atlanta avait déjà accumulé près de 3,7 millions de dollars en carrière. Demain, il est assuré de prendre au moins autant, et peut-être même trois fois plus. Ironie du destin, c’est sur le tournoi qui lui a toujours échappé, avec seulement deux ITM en 16 participations, que Daniel Weinman (photo) s’apprête à réaliser le grand casse de sa carrière.

Daniel Weinman

« Dan est surement le plus expérimenté du groupe donc il est peut-être légèrement favori, mais la partie va être très serrée » commente Adam Walton, au moment de faire les pronostics. Difficile en effet de dégager un favori, tant les stacks sont profonds et resserrés : 114 blindes pour Steven Jones contre 100 chez Weinman et 82 pour Walton.

« Le favori pour gagner ? C’est moi bien sûr ! Je suis le chipleader, affirme Jones plein d’enthousiasme. Je pense qu’il faut s’attendre à une très longue grind, parce que nous sommes tous très deeps ».

Jones - Walton

"La pression ? Pas du tout. On est déjà dans le Top 3, toute la pression est partie. Je veux juste rentrer dans le moment. Jusque-là, je n’ai jamais senti de la nervosité dans ce tournoi, j’espère que ça va continuer comme ça." Steven Jones, tout sourire et qui retrouvera son compatriote Adam Walton demain, avec qui il boxe depuis déjà quatre jours.

La partie risque en effet de durer et de se prolonger jusque tard dans la nuit. Entre Américains, Tony Miles et John Cynn avaient produit un heads-up interminable de plus de dix heures. On espère ne pas en avoir un remake. La profondeur laissera place à quelques moves, à de la créativité, à des plays de haute voltige, comme on en a eu aujourd’hui. Le palier de 6 millions de dollars entre la deuxième et la première place donnera-t-elle la prime à l’offensive ou les enjeux prendront-ils le pas sur le jeu ? Réponse à partir de 14 heures (23h heure de Paris).

Le chipcount des trois derniers prétendants au titre

Jones - Walton - Weinman

Siège Joueur Tapis Blindes
1 Steven Jones (USA) 238 000 000 119
2 Adam Walton (USA) 165 500 000 83
3 Daniel Weinman (USA) 199 000 000 100

Les éliminés du jour

9e : Daniel Holzner (Italie) 900 000 $ 8e : Juan Maceiras (Espagne) 1 125 000 $ 7e : Toby Lewis (Angleterre) 1 425 000 $ 6e : Dean Hutchison (Écosse) 1 850 000 $ 5e : Ruslan Prydryk (Ukraine) 2 400 000 $ 4e : Jan-Peter Jachtmann (Allemagne) 3 000 000 $

Alex Réard ou la force tranquille

Alexandre Réard décroche son deuxième bracelet WSOP. Son premier gain à sept chiffres est remporté sur l'un des tournois les plus difficiles de l'été. Après la consécration en 2021 vient le temps de la confirmation pour l'un des tauliers du poker français, impressionnant de maîtrise et de sérénité tout au long des quatre derniers jours. Event #90 : NLHE 6-max Championship 10 000 $

Alexandre Reard 2e bracelet WSOP 10K 6-max Winamax reportage coverage
« Champions du monde ! Champions du monde ! CHAMPIONS, CHAMPIONS, CHAMPIONS, DU MONDE ! »

Il est 14h32 à Las Vegas en ce lundi 17 juillet, et sur le plateau télévisé du plus gros tournoi de poker du monde, les deux derniers joueurs en course font la grimace. Leurs factions de supporters aussi.

A quelques mètres des spotlights braqués sur Daniel Weinman et Steven Jones, un autre tournoi des WSOP vient de s'achever. Et pas dans la discrétion. Les clameurs qui s'élèvent de cette table secondaire menacent carrément de voler la vedette aux ultimes prétendants à la couronne suprême du poker. Pire encore : ces chants et célébrations sont hurlés en français. Définitivement pas la langue la plus populaire au pays de l'Oncle Sam.

C'en est trop pour les familles et amis de Weinman et Jones, qui tentent une contre-offensive depuis les gradins. « USA ! USA ! USA ! » Effectivement : le Main Event va s'achever par la première victoire américaine depuis 2018. Mais les Français encore présents à Las Vegas pour les ultimes tournois des WSOP 2023 n'en ont cure. Ils sont là pour célébrer le nouveau triomphe d'un de leurs meilleurs représentants. Alexandre Réard vient de remporter son second bracelet de Champion du Monde. Sur l'un des tournois les plus difficiles au programme, qui plus est. Ce n'est pas le Main Event, quand bien même il a rassemblé plus de 10 000 joueurs, qui va gâcher leur quart d'heure de gloire bleu-blanc-rouge.

Alexandre Reard 2e bracelet WSOP 10K 6-max Winamax reportage coverage
Florian Ribouchon, Jonathan Therme, Erwann Pecheux, Julien Sitbon, Arnaud Enselme, Romain Lewis, Ivan Deyra, Rosalie Petit, Davidi Kitai... Parmi ceux qui célèbrent leur héros du jour, on trouve de tout : ceux qui ont déjà vécu ce moment unique, ceux qui sont passés à deux doigts de le vivre, et ceux qui se disent « la prochaine fois, c'est sûr, ça sera moi. »

Légère et bon enfant, la joie débridée du clan tricolore prend cependant l'air d'un cheveu dans la soupe solennelle qu'on nous sert toujours à la fin du Main Event. Les « Sssssssh » commencent à monter depuis les gradins et du côté des arbitres. L'un des hommes en costard, le toujours autoritaire Charlie Ceresi, doit prendre les choses en main. « OK, vous allez l'avoir, votre photo souvenir. Mais on va faire ça vite, et dans le calme. » La troupe de supporters est invitée à faire le tour de la barrière afin de rejoindre Réard à table. La scène est absurde : on leur demande de laisser éclater leur joie pour les objectifs… mais avec le bouton « Mute » enclenché. Les cris s'élèvent tout de même, impossibles à réprimer. Les appareils photos mitraillent. Puis Ceresi disperse la foule. Le Main Event doit retrouver son cours normal.

Hier soir, lorsqu'une trêve provisoire a été déclarée sur l'Event #90, le fameux 6-max à 10 000 $ l'entrée, il ne restait plus que quatre joueurs sur les 550 inscrits. Alexandre Réard était de très loin le favori, avec plus de 50 % des jetons devant lui. De retour au Horseshoe à 13 heures, le Parisien était à l'heure pour son speed date avec l'histoire. En 90 minutes, le plat de résistance était consommé, le dessert commandé, l'addition réglée. Le second bracelet était à lui, accompagné d'un beau million de dollars. Le premier gain à sept chiffres de sa carrière.

Alexandre Reard 2e bracelet WSOP 10K 6-max Winamax reportage coverage
Réard a reçu un coup de main du hasard pour se débarrasser de Justin Liberto en quatrième place : un As-10 qui s'améliore sur le turn contre deux 10 et réduit au silence un joueur dont il se méfiait beaucoup. Derrière, c'est Stephen Chidwick qui s'est chargé d'AJ Kelsall, avec un As-5 tenant bon contre Valet-10, puis une paire de 8 restant en tête contre As-4.

Le heads-up final ne fut qu'une formalité expédiée en trente minutes : même pour le n°4 de la All Time Money List (49 millions de dollars de gains de carrière), la marche était décidément trop haute face à un Réard en maîtrise de bout en bout. Lorsque Chidwick s'est mis à tapis avec 83 sur un turn 8526, l'un des meilleurs joueurs de l'histoire ne pouvait espérer qu'un split contre la quinte 43 du Français. Un miracle qui ne viendra pas, le 2 sur la rivière venant entériner la domination sans partage de la force tranquille du poker français.

« J'ai eu une pensée pour Romain [Lewis] », rigole Réard tandis que les photographes installent leurs trépieds et flashs. « A ses débuts en live, il s'était retrouvé en heads-up contre Chidwick sur un side-event de l'EPT Prague, il avait terminé deuxième. » Mais lorsque le même Romain s'est de nouveau retrouvé en finale face à l'Anglais six ans plus tard, sur l'un des derniers tournois des WSOP 2021, c'est lui qui a eu le dernier mot. Aujourd'hui, c'est au tour de Réard de confirmer la tendance : lorsqu'un Français est en finale, Chidwick n'est désormais plus favori pour la victoire…

Les WSOP 2021, reparlons-en : c'est sur cette édition qu'Alexandre Réard avait remporté son premier bracelet. « Tout sauf un hasard », titrait-on à l'époque après sa victoire sur un 5K 8-max. Son second titre WSOP, il est allé le chercher sur un tournoi deux fois plus cher, et très certainement deux fois plus relevé (au moins). Le « 10K 6-max » des WSOP : un tournoi culte, à l'aura presque mythique. Un peu le Main Event de la génération online.

Alexandre Reard 2e bracelet WSOP 10K 6-max Winamax reportage coverage
Laquelle de ces deux victoires est la plus forte ? Le champion a forcément du mal à choisir. « La première est à part... parce que c'est la première. Aujourd'hui, c'est encore plus beau, clairement, pour plein de raisons : le prize-pool, le format 6-max, le joueur en face à la fin... Et puis, c'est le deuxième, quoi ! En termes de saveur, le premier est meilleur, il y a ma femme qui était à mes côtés, la cérémonie de remise du bracelet était très touchante. En termes de consécration, en revanche, celui-ci est le plus fort. »

Ce fameux 6-max à 10K, Réard le joue chaque année depuis qu'il a atteint le niveau et la bankroll nécessaires pour affronter les meilleurs joueurs de No-Limit Hold'em du monde. « Je ne l'ai raté qu'une fois, en tout j'ai du le jouer cinq fois. » L'an passé, il avait déjà deep-run, atteignant la dernière journée de l'épreuve. Un mauvais souvenir pour beaucoup de monde à Las Vegas. « Il y a eu ce faux attentat terroriste… » Une fausse alerte, mais une panique véritable, avec des blessés et des traumatismes. « J'étais revenu au Day 3 avec le poignet cassé, le bras cassé, pas soigné… Je n'étais pas dans de bonnes conditions, je n'avais même plus envie de jouer ! Alors cette année, quand je suis arrivé au Day 3, je ne voulais pas louper ma chance. J'étais dans de bonnes conditions, en pleine possession de mes moyens. »

« Quand j'arrive sur un tournoi comme ça aujourd'hui, je sais que je fais partie des meilleurs »

Des paroles qui sonneront vrai pour tous ceux présents derrière le rail pour observer les deux dernières journées de l'édition 2023. Ils y auront vu un Réard impressionnant de maîtrise, prenant les commandes de la partie très tôt durant le Day 3, et restant solide sur ses appuis durant les rares moments où son tapis a chuté. Pour arriver à se sentir aussi à l'aise à la fin d'une compétition si relevée, il faut disposer d'un peu d'expérience. « Je me sens très serein pendant les deep-runs, maintenant. Avant, il y avait toujours un peu de stress, j'avais moins d'expérience, j'étais moins bon. Forcément, ça joue. Aujourd'hui, quand j'arrive sur un tournoi comme ça, je sais que je fais partie des meilleurs, je n'ai pas de doute là-dessus. J'ai confiance en moi, et dans mon jeu. Je sais qu'il faut de la réussite, et j'en ai eu. Quand tous les ingrédients sont réunis, j'essaie de saisir l'opportunité. Et je pense que j'arrive à la saisir plus souvent que jamais. »

Alexandre Reard 2e bracelet WSOP 10K 6-max Winamax reportage coverage
En 2021, Alexandre Réard avait remporté un 5K 8-max déjà bien relevé. Aujourd'hui, on l'applaudit tout en haut du 10K 6-max. Comment on fait, pour passer de très bon joueur à top player ? Le Français met en avant l'importance du mental. « Je travaille avec des coachs depuis des années, pour solidifier le mental. J'ai le même coach depuis deux ans, Christophe Léonard. Je le salue, car c'est un peu grâce à lui aussi cette victoire. Ensuite, il y a les groupes de travail, les échanges permanent avec plein de joueurs très très fort. D'ailleurs, il y en a pas mal qui n'ont pas encore eu les résultats qu'ils méritent. »

Selon Alexandre Réard, derrière chaque « railbird » applaudissant la victoire d'un compatriote, il y a un futur Champion du Monde en puissance. « Cela créé de l'émulation. C'est génial de voir que ta victoire rende les autres heureux. Cela motive tout le monde. Consciemment ou non, quand on assiste à une victoire, on va se dire 'Moi aussi, j'aimerais être là'. Et ce n'est pas un sentiment négatif du tout, au contraire. Cela motive à bosser, à aller de l'avant. C'est sain, cela pousse à se surpasser. »

Revenons quelques années en arrière et mettons Alexandre Réard dans la position du railbird sans vrai palmarès. Quel fut son déclic à lui ? « Il y a très longtemps, ça devait être en 2012 ou 2013. Aurélie [son épouse, elle aussi pro, NDLR] avait gagné un tournoi Ladies qui l'avait qualifiée pour les WSOP Europe. On était invités au Majestic à Cannes, pour nous c'était déjà un truc de fous. Moi je jouais au poker, j'allais à l'Aviation Club de France. Ça se passait correctement mais je n'avais absolument pas la bankroll pour jouer les WSOP Europe, pas même les side-events. Et je me retrouve là, à la pause d'un des tournois, je vois débarquer tous les pros français de l'époque, les Américains aussi… En les regardant, je me suis dit 'Un jour, je jouerai ces tournois-là.' Dix ans après, je mesure le chemin parcouru. Et ça fait très plaisir, c'est sûr. »

Alexandre Reard 2e bracelet WSOP 10K 6-max Winamax reportage coverage
Dans le clan des meilleurs joueurs français, chacun a sa personnalité. Il n'est pas dur d'attribuer un rôle à Alexandre Réard. Lui, c'est la force tranquille. Un mec qui reste serein quelles que soient ses circonstances. Constant dans ses perfs comme dans son attitude. Il déroule. On l'a encore vu aujourd'hui. Cette vision des choses, l'intéressé ne la nie pas. « Ce serait de la fausse modestie de dire le contraire. Ça s'est bien passé sur ce tournoi, j'ai eu beaucoup de jeu, j'accueille ça sereinement. Les erreurs aussi d'ailleurs : j'en fais, et c'est pas grave, c'est comme ça qu'on apprend. » Et lorsqu'il repère un souci, Réard agit. « L'un de mes points faibles, ça va souvent être la fatigue. Et là justement, sur ces WSOP, je l'ai gérée. Je ne me suis pas pressé, j'ai retiré plusieurs tournois de mon programme, des épreuves qui m'intéressaient moins. »

On avait d'ailleurs commencé notre reportage début juin avec le récit d'un gros deep-run : une troisième place sur un 2 500 $, bonne pour 192 000 $ de gains. Qu'est-ce qu'il s'est passé, durant cet entre-deux de cinq semaines ? « J'ai moins joué, justement ! J'ai sélectionné. Il faut apprendre à se connaître, écouter son expérience. Par rapport à des joueurs de 25 ans, je vais peut-être avoir moins d'énergie pour enchaîner plein de tournois d'affilée. Je sais que mon niveau va s'en ressentir. Donc, voilà : tu fais des choix, tu prends des décisions. »

Moins de tournois au programme, certes, mais avec un objectif qui restait très clair : aller chercher un deuxième bracelet. « En début de séjour, je me suis senti très bien, très pro, pendant 15 jours. J'étais avec Anthony Kazgandjian, un très bon joueur de cash-game, très rigoureux. On était dans une très bonne atmosphère. Puis je suis arrivé dans une villa, j'ai retrouvé des potes. Et là, le séjour est devenu un peu plus léger. Attention, je n'ai pas abusé, ce n'est pas mon genre. Mais on se laisse vite prendre au jeu : c'est Vegas, on est entre copains, on s'amuse, on kiffe le moment. Là, c'est devenu plus difficile. D'ailleurs, après ma finale vous m'aviez demandé si je considérais ce Vegas comme déjà réussi. J'avais répondu 'ça va dépendre de la suite', car si derrière je ne fais pas d'ITM pendant un mois, c'est trop long, ce n'est pas à la hauteur de mes attentes. Bon, aujourd'hui, je peux te répondre clairement : oui, il est réussi ce Vegas [rires] ! »

Un bracelet, deux bracelets… combien en veut-il ? « Les bracelets, c'est un vrai objectif depuis un an, quand j'ai appris que le record en No-Limit Hold'em, c'était cinq. A vérifier… Si c'est vraiment le cas, alors c'est ça mon objectif, battre ce record. » On n'en voudra pas à Réard de ne pas tenir compte de l'extraterrestre Phil Hellmuth, dont 10 des 17 bracelets ont été remportés en NLHE… « Après, j'ai d'autres objectifs perso. La 'Triple Crown' en est un. Je joue déjà tous les EPT, maintenant il va falloir jouer un peu plus de tournois World Poker Tour. On n'en gagne pas si on n'en joue pas ! »

Côté pognon, ça commence à rigoler franchement. Réard crève officiellement les 5 millions de dollars de gains de carrière en live, avec un gros million remporté d'un seul coup. « La première perf' à sept chiffres, ce n'était pas un objectif. Mais j'y avais pensé à Rozvadov, quand je fais la grosse TF [celle du Main Event, l'an passé, NDLR]. Il y avait 1,4 ou 1,5 million à gagner, mais je finis huitième, je tomne sur un setup. Je n'ai pas pu réellement défendre mes chances, mais ce n'est pas grave, il faut l'accepter. C'est pareil quand ça se passe bien, d'ailleurs : il faut l'accepter aussi, en profiter. »

Alexandre Reard 2e bracelet WSOP 10K 6-max Winamax reportage coverage
Avec cette victoire, Réard remporte au passage un pari lancé en début de WSOP, qui réunissait tous les Français déjà détenteurs d'un bracelet en No-Limit Hold'em. « C'est Jonathan Pastore qui a eu l'idée, ça lui tenait à cœur. » Qui allait être le premier à en gagner un deuxième ? « Ceux qui avaient gagné un bracelet online pouvaient participer, mais il fallait que le second se produise en live. C'est drôle, car j'ai failli mettre fin au pari direct, dès le début des WSOP. Derrière, on a cru que personne n'allais le gagner. Et j'y arrive tout à la fin... » Tous les participants ont misé 2 000 €. La moitié du prize-pool sera reversé à une œuvre de charité, déjà choisie par son épouse.

Dès demain, Alexandre Réard sera dans l'avion pour retrouver l'Europe, la famille, les amis. « Je ne change pas ce qui était prévu, c'est à dire des vacances en France. Après ça, il y aura l'EPT Barcelone, la machine repartira jusqu'à la fin de l'année, j'ai un gros programme. Mais en attendant, j'ai un bon gros mois sans toucher de cartes. Je vais retrouver Aurélie, ça fait quand même un mois que je ne l'ai pas vue. Et puis mes parents, la famille… »

Aujourd'hui, les WSOP ont surpris tout le monde en annonçant un gros festival d'hiver aux Bahamas : 15 bracelets et des dizaines de millions de dollars garantis à Atlantis (l'ancienne maison de la PCA) au début du mois de décembre. Un « WSOP Paradise » qui entre en concurrence frontale avec l'EPT Prague, mais aussi le World Poker Tour au Wynn. Comment choisir ? « J'adore Prague, j'adore l'EPT, j'y vais tous les ans. Mais l'an dernier, quand j'ai vu les chiffres du Wynn, j'ai fait mon choix. J'ai envie d'un titre WPT. Je serai donc à Vegas en décembre. » Une collection de bracelet à agrandir, des titres inédits à chercher sur les autres festivals majeurs de la planète : c'est annoncé, Alexandre Réard ne va guère se reposer au cours des mois à venir.

Alexandre Reard 2e bracelet WSOP 10K 6-max Winamax reportage coverage
Alexandre Reard 2e bracelet WSOP 10K 6-max Winamax reportage coverage