Le Roi Sitbon prend sa couronne
Il était déjà l’homme du match de ces WSOP. Au bout d’un festival exceptionnel, Julien Sitbon remporte le premier bracelet tricolore de cette édition 2023. La juste récompense pour un grinder qui n’en finit plus d’étonner et qui s’envole encore un peu plus vers les hauts plateaux du jeu. Joueur de Live par essence, c’est pourtant sur un 2 000 $ Online que Sitbon devient champion du monde.
Il conclut son été de folie par son premier bracelet et un gain de 170 000 $ après un tournoi improbable, émaillé de déconnexions et de road-trip à travers Vegas. Il voulait un bracelet avant ses 40 ans, Julien réalise son rêve avec une petite semaine de retard, qu’on lui tolérera volontiers.
C’était une fin de Vegas bien triste pour le clan français. Absent de la dernière ligne droite du Main Event, les grinders bleus se morfondaient en voyant le compteur de bracelet bloqué à zéro. Mais quand les choses vont mal, on peut compter sur Julien Sitbon.
Déja auteur d’un très gros match sur ces WSOP, le maestro de l’équipe de France surgit encore dans les arrêts de jeu et place un coup de tête magistral, pour faire trembler les filets de Vegas, enfin.
Comme avec Zinédine Zidane en 2006, la France s’en est remis à son capitaine. Tout juste quarantenaire, le numéro 1 du classement GPI France a éclaboussé la compétition de son talent en multipliant les exploits personnel.
Une première occasion de but sur le 3 000 6-max, se heurtant à un double-poteau après un joli une-deux avec Samy Boujmala. Une deuxième un peu plus nette encore sur le 3 000 $ Freezout, où Julien dribble un à un les paliers pour se retrouver en un contre un face à Robert Schulz. Julien ne pourra remonter son désavantage en jetons et butera sur l’ultime obstacle allemand.
Infatigable, Julien Sitbon a continué le pressing, pour récupérer un ballon perdu dans le temps additionnel. Un 2 000 $ online, pas vraiment celui sur lequel on l’attendait, mais quand Julien tient une opportunité, il la saisit. Cette fois, la finition est clinique : Julien s’impose devant 551 joueurs, pour 170 000 $ et le bracelet de champion du monde.
La métaphore footbalistique n’est en rien tirée par les cheveux. Elle est amenée directement par le joueur, qui tisse de lui même le lien après avoir reçu le bracelet des mains de Gregory Chochon.

« Cette année, je m’étais pas donné cet objectif de bracelet. Je t’en avais parlé : je voulais faire une TF, et gagner plus de 500 000, ce qui était énormissime. Au final, je fais une TF, puis une deuxième, où je vois le bracelet pas loin. A vrai dire, je n’aurais pas eu ce bracelet, ça n’aurait pas changé grand chose à mon bilan. Evidemment, c’est fait, c’est coché. Mais ce qui me parle dans le côté “champion du monde”, c’est qu’à la base, je viens du foot. Quand j’étais jeune, mon rêve c’était d’être pro. Je voulais jouer la coupe du Monde, il y aura les hymnes, la Marseillaise et je jouerai pour mon pays. Là, je me retrouve à jouer les Championnats du monde de poker. Même si c’est complètement différent parce qu’on joue individuellement, on était là à chanter la Marseillaise, il y avait quarante, cinquante français, et ça m’a touché. Pour moi, j’ai gagné la Coupe du Monde que je n’ai pas pu avoir. »
Déconnexion, resto japonais et grinding “road-trip”
Ce bracelet WSOP a été acquis sur un tournoi online à 2 000 $. Dis comme ça, on imagine un Julien Sitbon seul dans sa chambre, grindant sérieusement avec son set-up, son ordinateur, son casque, avec pour seul compagnie le livreur Uber-eats qui viendrait toquer à sa chambre pendant le deep-run. Pas vraiment, le tournoi de Julien a donné lieu à une histoire improbable, dont le joueur et ceux qui y ont participé se souviendront longtemps.
« On arrive au Paris en voiture dans l’après-midi avec Virgile (Turchi), rembobine le héros de l’histoire. Moi j’allais jouer le 3k H.O.R.S.E et lui le Closer. Sur le chemin, on parlait des “décos” qu’on avait eu sur des gros tournois online et qui nous avait beaucoup couté. On mentionnait notamment un spot avec deux As, un autre avec As-Roi à la bulle, la connexion avait sauté et on se disait à quel point ça pouvait être horrible.
Bref, je joue mon H.O.R.S.E, je sentais que j’étais frustré, j’avais envie de jouer plein de coups et je me dis “je lance le tournoi Online à côté”, ça va me permettre de me focus et d’éviter de jouer trop de mains. Il s’avère que certains potes de Vegas ne font pas un très bon été. Je me suis dit, “bon je vais vendre un peu et si jamais c’est la belle histoire, ça sera cool pour tout le monde”. Donc j’ai vendu pas mal de pourcentages quelques potes, ce qui est assez rare pour moi.
Je commence à jouer sur mon téléphone et quinze minutes après, je bust du H.O.R.S.E. Virgile aussi, on repart tranquillement du casino », poursuit Julien, qui croise alors Nicolas Vayssières ».
Chèvre.Miel embarque les deux grinders pour une session shopping et Julien continue de jouer sur son téléphone sur le chemin, dans les boutiques et jusqu’au restaurant japonais où la bande de grinder a rendez-vous pour le diner.
« Le problème, c’est que c’est moi qui ait la voiture. Les autres ne conduisent pas ou ne sont pas sur l’assurance et je me retrouve donc à conduire, avec mon tournoi sur les genoux, reprend Sitbon. On arrive au Japonais et Ivan (Deyra) nous rejoint. Ils boivent bière sur bière et moi je suis à côté en train de cliquer. La bulle arrive et là, deux As. J’open, un mec me 3-bet, et tandis que je m’apprête à cliquer… Mon téléphone s’éteint. Plus de batterie ! Je me dis “quelle horreur, on venait d’en parler, il faut vite que j’aille chercher une batterie dans la voiture”, et c’est là qu’Ivan me dit “j’ai l’appli WSOP, joue sur mon téléphone” ».
Toujours bon d’avoir un top grinder online dans les parages. Sitbon parvient à se reconnecter in extremis, à sept secondes du “sit-out”. « Je parviens à clique-raise juste avant que ça saute. Le mec fait tapis en face As-Roi et je double à la bulle. Si Ivan n’est pas là, j’aurais jamais eu ce double-up ».
Le tournoi avance, 40... 30... 25 left ! La pression commence à monter, Julien ne veut pas être confronté à d’autres imprévus. « Je vais terminer le tournoi ici » déclare le joueur, dont le plan est cette fois contre-carré par les horaires du restaurant. « On ferme à 23H » informe le serveur. Rebelotte, Julien repart pour une session de poker automobile. Le tournoi se terminera à la villa.
« Je me retrouve encore avec ma partie, à conduire sur l’autoroute et jouer en même temps. Magnifique, j’ai que des 7-2, 6-3 et j’utilise toute ma time-bank à chaque fois pour jouer le moins de mains sur le trajet ». Arrivé à la villa, 12 left.
Julien s’isole dans une chambre tandis que les grinders guettent la partie depuis la pièce d’à côté et vient ce spot avec A
10
. « Je ne sais pas si je dois raise-fold ou faire tapis. Je finis par jam et ça fait call par un autre A-10… Et par deux As derrière ». Sitbon doit puiser dans ses ressources et rentre la flush river pour remporter ce coup énorme.
Un run fluide permettra à Julien de gagner sa place en finale, puis en heads-up, en entendant les supporters hurlés à chaque coup remporté.
« En HU, j’ai un spot où le mec me livre complètement et je le gagne ». Les potes d’à côté sautent dans tous les sens et viennent retrouver leur héros. Tout le monde finira dans la piscine. Sous les coups de deux heures du matin, Julien Sitbon vient d’être sacré champion du monde.
« C’était à l’arrache, confesse le joueur. Si ça avait pas été comme ça, je ne l’aurais jamais gagné. J’aurais peut être été plus en dilettante Le fait que j’ai vendu à des gens qui sont important pour moi, et qui ont pas fait un très bon Vegas, ça m’a fait kiffer et ça m’a donné encore plus d’abnégation ».
Julien Sitbon, c’est l’assurance-décagoule. Après un Vegas raté, il vous suffit de prendre quelques parts sur les derniers tournois de Sitbon et vous rentrez chez vous la bankroll rechargé.
« La perf’ à Amsterdam m’a débloqué »
Il y a trois ans, Julien Sitbon était un top joueur du circuit national, enquillant les perfs entre 60 et 80k dans les différents clubs de France, ou sur quelques Sides EPT. L’année dernière, il franchissait un palier, en multipliant les performances sur le circuit international, jusqu’à ce premier score à six chiffres, acquis à Amsterdam. Hier, il a remporté sa troisième perf à six chiffres en un mois, au cours duquel il a explosé son record de gains (417 338 $ pour sa 2e place sur le 3 000 $ Freezout). Julien entre encore dans une autre dimension, en s’affirmant comme un prétendant incontournable sur les buy-ins hautes gammes, et sur les tournois les plus prestigieux du monde.
« Je pense que cette perf à Amsterdam m’a vraiment débloqué, affirme Sitbon. Ce qui est paradoxal, c’est que je n’ai jamais senti de pression par rapport aux montants, que ce soit à Amsterdam ou sur les autres finales. J’ai l’impression de bien ressentir l’ICM, sans pour autant l’avoir vraiment travaillé. Les tournois, c’est toujours le même chemin. Pendant deux ou trois jours, tu montes, passes la bulle, le nombre de table se réduit, les paliers, le HU… C’est un processus partitionné, qui est le même à chaque fois. Et puisque j’ai déjà gagné des tournois, je sais que je peux aller au bout ».
Le chemin est le même mais les adversaires ne le sont pas. Que ce soit face aux amateurs parisiens, aux field EPT ou aux Américains.
« Avant, on était dans une range de buy-in qui était plus autour de 1 et 2k. Maintenant, je me sens très bien sur les 3-5k et même les 10k, que je joue de plus en plus. Ce que j’aime, c’est m’adapté. Et pour s’adapter, il faut différents profils. Que je joue Chidwick ou un Américain avec son chapeau, c’est un joueur comme un autre, il faut trouver les failles et se battre », analyse celui qui disait s'identifier à Davidi Kitai.
Avec trois finales WSOP, un record de gains en carrière et un titre de champion du monde, cet été de poker restera gravé à jamais dans la mémoire de Julien. Il pourrait également constituer un nouveau tournant dans la carrière du joueur, qui ne cesse de grimper vers les hauts plateaux du poker, et qui pourrait encore s’ouvrir de nouvelles portes.
« Ca dépend ce que t’entends par “porte”, rebondit le joueur. Si tu parles de sponsoring, de jouer les Triton… Le sponsoring, si les rooms reviennent vers moi, on en parlera avec plaisir, mais c’est quelque chose que je ne maitrise pas. Les Triton, c’était déjà en réflexion. J’ai cette idée de gagner au maximum, pour d’ici 4-5 ans, jouer un poil moins. Mais à l’heure actuelle, j’ai faim. J’adore ce que je fais, je prends du plaisir, j’ai juste envie de mieux sélectionner mes parties. C’est ce que j’ai fait sur ce Vegas là. Avec les années, je sais comment être optimal. Je sais ce qui me réussis, ce que je dois faire pour être meilleur. La porte quoi s’ouvre pour moi, c’est de réussir, mentalement et physiquement, à pouvoir être au meilleur à chaque fois que je m’assois à une table de poker. Réussir à trouver la clef, qui te convient à toi. Et je pense l’avoir trouvé ».
Cette faim sera-t-elle rassasiée par un titre en particulier ? Par un nombre de bracelets, une triple-clown ?
« Je suis un compétiteur. Bien évidemment, je n’ai encore rien fait sur ce Main Event de Las Vegas. Ca reste dans un coin de ma tête. Il y a aussi des EPT, des WPT, mais je n’ai pas de but ultime. Je kiffe toujours, je joue, je parle avec les gens, je rigole, je découvre de nouvelles personnes. Ces deux dernières années, je me suis beaucoup plus ouvert. Je ne créais pas d’affinité avec les gens, je ne parlais pas de ma manière de jouer. Je me suis autorisé à le faire parce que c’est quand même un métier très solitaire et qu’il faut accepter de prendre du plaisir dans ces moments là. C’est dans cette continuité là que je veux aller ».
Julien Sitbon remporte son premier bracelet et l’unique français de cette édition. A moins que… Alex Réard et Farice Bigot sont bien placés à 15 left du 10 000 $ 6-max, de nombreux tricolores se sont lancés dans “les tournois de la dernière chance”, et même Sitbon n’en a pas terminé avec ces WSOP.
« Je n’ai pas fini, prévient le joueur. Il reste encore trois jours, je m’arrêterais après. Ensuite, j’aurais un mois de vacances tranquille où je ne vais pas toucher à une carte. Je vais aller en Tanzanie en safari avec ma copine, j’ai hâte d’y être et on verra pour la suite ». Julien a remarquablement dompté la jungle américaine. Qu'en sera-t-il de la savanne tanzanienne ? Pas de coverage prévu sur cette aventure, mais le Lion Sitbon nous a prévenu : sa faim est loin d'être rassasiée. Aujourd'hui, le roi du poker français a simplement pris la couronne qu'il lui était du.