Fabrice Bigot a les crocs
Fabrice Bigot se place dans les cinq derniers joueurs de l'EPT Paris avec un gros stack
A 28 ans, le dernier Français en course se rapproche un peu plus de ses ambitions de longue date : s'installer sur le circuit High Roller
Main Event - 5 300 € (Day 5 - Finale)
De toutes les discussions que nous avons avec des joueurs de poker, les plus intéressantes ne sont parfois jamais publiées. Flashback : Las Vegas, un après-midi de juillet 2022. L'escalier de béton menant à l'entrée cachée des WSOP est comme d'habitude blindé de joueurs. Ils sont en pause, ils sont entre deux tournois, tout juste éliminés, en partance pour la piscine ou sur le point d'aller soutenir un pote en finale. Une conversation débute avec un pro de l'ombre que je ne connaissais jusque-là qu'en photo, ou via son
palmarès en ligne. Sa sortie en 39e place d'un 5 000 $ des WSOP ne méritera qu'une brève mention dans le coverage, et son deuxième deep run consécutif sur le Main Event a déjà été couvert en long et en large par les collègues la semaine précédente. C'est donc avec le carnet et le stylo rangés dans la poche que je me retrouve à papoter avec Fabrice Bigot. Un couvreur et un joueur tuant le temps aimablement avant de reprendre leurs boulots respectifs, sans autre enjeu que de bavarder sous le soleil. Pourtant, l'échange va durer plus longtemps que prévu. Surpris, je me retrouve en effet à boire les paroles d'un joueur déroulant avec assurance sa vision du poker, ses méthodes de travail, ses projets pour l'avenir. Les gens très sûrs d'eux me font rarement bonne impression. Au mieux, ils me font sourire. Au pire, ils m agacent. Cela ne fut pas le cas avec Fabrice Bigot : l'assurance avec laquelle il détaillait son objectif principal (s'installer sur le circuit High Roller, et le plus vite possible) m'a semblé tout à fait convaincante, voire : enthousiasmante. Je suis sorti de cette conversation avec l'envie de croire aux projets grandioses de ce mec que je ne connaissais pas une heure plus tôt.
Retour au présent. Huit mois ont passé. Depuis cette rencontre à Vegas, le nom de Bigot a fait couler pas mal d’encre dans les colonnes de la presse poker. Une presque finale sur l’EPT Prague en décembre (11e - « Un jour j’en gagnerai un, c’est sûr », nous avait-il dit à l’époque) et surtout une victoire à 180 000 € sur l’édition parisienne du World Poker Tour Prime il y a trois semaines ont fini de l’installer dans la short-list des nouveaux joueurs incontournables de la scène française. Au moment de le féliciter ce samedi soir pour sa qualification en finale du premier festival EPT organisé à Paris, l’effet de surprise s’est donc quelque peu dissipé. C’est même tout le contraire : cette première finale EPT, qu’il reprendra dimanche avec un gros tapis de 60 BB et le statut enviable de dernier Français en course, elle nous fait quasiment l’effet d’une évidence. Et cette fois, au moment de reprendre la discussion, le dictaphone était bien branché.

Sur le fond, le discours de Fabrice Bigot n'a pas changé. "
Cela fait très longtemps que je dis que je veux jouer plus cher, donc c'est top d'avoir cette opportunité de faire un gros saut de bankroll. Clairement, c'est le truc qui me motive le plus pour demain." Bigot assume mettre de côté l'émotionnel, du moins pour le moment. "
Les paliers, je ne les regarde pas, je focus uniquement sur la technique. Et j'ai eu la chance de bien run. En début de journée, ça été compliqué, mais j'ai eu pas mal de réussite sur le jeu préflop, mes bonnes mains ont tenu, quand j'étais derrière je suis passé devant..." Pour rentrer dans le détail du volet "good run", on retiendra trois coups gagnés à tapis préflop aujourd'hui : deux Rois qui tiennent contre As-Valet pour doubler, un Roi-10 qui s'améliore contre As-Dame pour éliminer Saar Wilf en 11e place et surtout, un peu plus tôt, un As-5 qui trouve un As turn pour rester en vie face à deux Dames.
Grand bosseur, Fabrice Bigot ne s'installe pas à une table de poker sans un plan de jeu précis à dérouler. Aujourd'hui, c'est une stratégie "axée sur ses adversaires" qu'il a appliquée, et "leur niveau de compréhension technique." "Globalement, les dynamiques émotionnelles n'ont pas trop changé. Les joueurs étaient dans un certain état d'esprit, ils n'ont pas trop bougé. Certains joueurs, clairement ils n'ont pas eu peur de mettre les jetons au milieu, on l'a vu avec le reshove As-9 et celui avec As-Valet. Il y en a qui avaient plus le profil du joueur de cash-game, avec une compréhension des ranges différente." Toute la journée, Bigot a donné l'impression aux spectateurs d'un joueur solide, conservateur, serré disons-le... mais qui faisait tout de même entendre sa voix régulièrement, saisissant au bond toutes les balles qu'on lui passait. Il confirme et développe : "En gros, tous les spots où je peux mettre l'adversaire dans une situation qu'il n'a pas travaillée, je les prends. Et à l'inverse, tous les spots qui semblent évidents, je les joue différemment. Je m'adapte."
Quel sera le plan pour la finale à 5 dimanche ? "Se concentrer sur le fait de dormir le mieux possible, car c'est très dur. Malgré la méditation, les douches froides, tout ça, c'est galère. Je dors vraiment très mal. Je suis hyper-actif, donc la journée ça se passe très bien, je peux boire du café et tout. Mais le contrecoup va être très violent !" Concernant ses récentes percées techniques, Bigot nous explique avoir travaillé sur "les réponses et les instincts émotionnels. Se connaître techniquement, et écouter ses instincts, j'ai bossé ça avec mon coach. Donc il va avoir des moments, à table, où je mets de côté la technique pour écouter mes instincts, et prendre appui sur des choses que je n'ai forcément pas travaillées, mais qui sont là en moi, grâce aux des infos emmagasinées lors des précédents tournois live." Parmi ses 4 adversaires, le plus dangereux sera-t-il assis juste à sa droite ? On veut parler du chip-leader, le Roumain Razvan Belea. "Oui, potentiellement. Il a beaucoup de jetons, mais techniquement... Il n'a pas l'air hyper fort. Mais avec ses jetons, la perception des ranges va un peu changer. Mais ça, on verra demain."
Un mot pour Mehdi Chaoui, autre révélation francophone de ces dernières années et avec qui il a brièvement partagé un bout de finale ? « Il n’a pas eu de chance. La situation est très particulière, mais quoi qu’il arrive, avec ces mains, ça se serait terminé pareil. C’est la dureté du jeu. » Etre le dernier Français en course, ça compte ? « Oui, c’est très, très cool, c’est stylé. On va quand même essayer de pas laisser l’EPT Paris aux étrangers ! »
Revenons à l’objectif numéro 1 de Fabrice Bigot. Si demain il gagne l’EPT Paris et le gros million d’euros qui va avec, s’inscrira-t-il aussitôt au prochain High Roller au calendrier ? La réponse se fait hésitante. : « Hmm… non. Disons que, si je gagne… C’est un peu se jinx, mais si je gagne, je vais probablement passer plus de temps à travailler les prochaines semaines, pour me préparer pour les prochains gros évènements. Peut-être pas les 25K, pas encore, mais… Enfin peut-être pas un 25K, mais… Enfin je sais pas. On verra ! J’en sais rien. Mais c’est clair que je suis très pressé des les jouer. Le plus tôt sera le mieux ! »
Parole d’un mec qui, il y a seulement cinq ans, commençait son apprentissage via des freerolls, un bouquin de Dan Harrington sur les genoux…
Les 5 derniers joueurs
La configuration est sur le papier favorable à Fabrice, qui jouera toute la finale avec la position directe sur son adversaire potentiellement le plus dangereux,
Ravzan Belea (photo).
La finale reprendra dimanche à 12h30. Le streaming sera lancé avec la demi-heure de décalage traditionnelle - 13h, donc.
Siège |
Joueur |
Pays |
Tapis |
BB |
1 |
Fabrice Bigot |
France |
9 625 000 |
64 |
2 |
Henri Kasper |
Estonie |
1 725 000 |
11 |
3 |
Brian Delaney |
UK |
10 425 000 |
70 |
4 |
Peter Jorgne |
Suède |
10 775 000 |
72 |
5 |
Razvan Belea |
Roumanie |
16 125 000 |
107 |
Les éliminés du jour
On était là, on a tout vu : un simple clic dans le tableau ci-dessous vous rencardera sur tous les sortants du Day 5. Les déceptions côté francophone furent nombreuses : le prodige
Arthur Conan (photo) a manqué de peu sa première finale EPT, et celle de
Mehdi Chaoui fut bien trop brève.