Quand Patrik Antonius, Daniel Negreanu et Phil Ivey se cherchent des noises comme au bon vieux temps, ça donne une nouvelle main mythique, à la conclusion explosive. Cerise sur le gâteau : une autre légende, Gus Hansen, se prête au jeu de l'analyse.
Daniel Negreanu, Patrik Antonius, Phil Ivey, Doyle Brunson ou encore Tom Dwan assis à la même table de cash game télévisée : cela fleure bon les grandes heures de l'émission High Stakes Poker. Et pourtant : dans cet article, il ne s'agit pas d'un casting de la fin des années 2000... mais bien d'une partie jouée en 2022. Les producteurs du mythique show ont en effet eu la bonne idée de réunir cette brochette de légendes du poker, dans l'espoir que la magie opère à nouveau quinze ans plus tard. Et comme vous allez le constater, nos héros sont toujours aussi chauds d'action !La main qui nous intéresse dans ce nouveau Check-up se déroule donc lors des tout derniers épisodes de la saison 9. L'enjeu pour les stars ? Montrer qu'ils n'ont rien perdu de leur superbe et sont toujours capables de disputer des mains mutanesques, alors que le niveau de jeu s'est bien durci depuis leur âge d'or. C'est ce que vont s'atteler à faire Negreanu, Antonius et Ivey dans un coup qui va se finir à coups de relances en 3-way sur la river...
Ça tombe bien, le Team W compte désormais en son sein un joueur qui connait le trio sur le bout des doigts : Gus Hansen, bien sûr. Alors on a demandé au Danois, qu'on vient de voir démarrer la nouvelle saison de Dans la Tête d'un Pro, de passer ce coup dantesque au crible. "Une main remarquable entre trois top pros !", confirme The Great Dane. Attention, rareté.
On se retrouve donc sur une partie de cash-game jouée aux blindes 500 / 1 000 $, où chaque joueur de la table détient entre 150 000 et 260 000 $ de tapis. Aux côtés des cinq légendes citées plus haut, on retrouve le top pro Jason Koon, ainsi que l'entrepreneur Stanley Tang et l'homme d'affaires Jonathan Gibbs.
PRÉFLOP :
Patrik Antonius ouvre les hostilités par une relance à 2 500 $ UTG+1, avec en main 55
. Jonathan Gibbs paye juste à sa gauche avec un mignon 6
4
, imité par Daniel Negreanu au bouton avec 9
9
. Derrière, Phil Ivey complète sa grosse blinde avec K
10
.
L’analyse de Gus Hansen : L'action pré-flop est ce qu'elle est, c'est-à-dire tout à fait standard : relancer avec les 5, suivre avec les 9 et suivre depuis la grosse blinde avec Roi-10.
FLOP : 59
10
Quatre joueurs découvrent un flop à carambolage : Antonius, le relanceur initial, trouve le brelan du bas, Negreanu le brelan du milieu tandis qu'Ivey se contente d'une top paire bien kickée. Premier à parler, le détenteur de 11 bracelets WSOP check, et le Finlandais place une mise de continuation à 5 000 $. Gibbs, qui n'a rien, passe, et le Canadien se contente de suivre, imité par l'Américain.
L’analyse de Gus Hansen : Antonius c-bet avec le brelan du bas pour la moitié du pot, ce qui est un montant raisonnable. Negreanu paye avec le brelan du milieu et Ivey paye avec une paire supérieure et un bon kicker. Encore une fois, c'est assez standard avec cependant quelques choix en cours de route, en particulier la décision de Daniel de simplement suivre avec 9-9. C'est ça, le poker : peser ses options, élaborer un plan de jeu et, avec un peu de chance, prendre les bonnes décisions. Mais gardez à l'esprit que certaines de ces décisions sont très "close". Jusqu'à présent, l'action pré-flop et sur le flop a été assez standard, il n'y a vraiment pas de quoi se prendre la tête.
TURN : 59
10
10
Le turn est un 10, qui donne trips à Phil et offre un full à Patrik et à Daniel. Ivey check une nouvelle fois, et Antonius choisit de slowpayer sa main en tapotant aussi la table. Negreanu en profite pour prendre le lead avec une mise de presque la taille du pot, 26 000 $. Phil Ivey ne peut pas encore passer son tour et suit une nouvelle fois. Même son de cloche pour Patrik Antonius, qui continue de la jouer en sous-marin en se contentant de payer.
L’analyse de Gus Hansen : Le 10 donne top trips avec un bon kicker pour Ivey, et un full pour ses opposants. Phil check prudemment pour voir le développement du coup, Patrik check aussi, en "trap" avec son petit full. Daniel, très justement, envoie une mise de la taille du pot. Ivey et Antonius payent : je ne suis pas sûr de ce qu'un solver recommanderait dans ces spots, mais nous entrons dans une zone où chaque joueur détient une main très forte.
RIVER : 59
10
10
Q
Il y a donc 104 000 $ dans le pot quand tombe la rivière, une Q. Ivey check une dernière fois, et Antonius aussi, fidèle à sa logique. Cette fois, Negreanu propose un parpaing à 54 000 $, convaincu d'avoir la meilleure main. Après avoir évalué la situation, Ivey fold à raison, et la parole revient à Antonius, qui réfléchit et annonce... all-in, pour 153 000 $ ! "Tu as carré", lâche tout de suite Daniel, se rappellant peut-être de cette autre main légendaire perdue face à Gus Hansen il y a presque quinze ans, déjà dans High Stakes Poker. "J'allais presque checker", poursuit le Canadien, désormais bien embêté. Après une petite minute de réflexion, il estime qu'il ne peut plus détenir la meilleure main à ce stade et passe... la meilleure main.
L’analyse de Gus Hansen : La river est une Dame qui se connecte aussi bien avec 10-10 que Q-10, qui peuvent être dans la range des trois joueurs, spécialement Q-10 suité. Après deux nouveaux checks, Daniel décide d'attaquer ses adversaires avec une mise de la moitié du pot et Ivey entre dans un long tank... Dans certains cas, ce genre de comportement, c'est juste des gens qui regardent autour d'eux sans trop réfléchir. Mais là, je suis presque certain que Phil passe en revue les avantages et les inconvénients, l'historique des mains qu'il a jouées avec Daniel depuis toutes ces années, et enfin la façon dont il perçoit les séquences de mises de Daniel. La question est de savoir si Daniel aurait suivi préflop, au flop, misé gros au turn et attaquerait dans un pot à trois joueurs sur la river avec moins que K-10. La réponse, de mon point de vue, est clairement négative. Après avoir analysé tous ces détails, Mr. Ivey prend une nouvelle fois la bonne décision.
L'action revient à Patrik Antonius qui, malheureusement, ne connait pas très bien Daniel, où n'a pas réussi à considérer la situation dans son ensemble. Negreanu a un full maintenant, il n'y aucune autre option, Daniel ne bluffe pas. K-J ou J-8 n'auraient jamais été joués de cette façon, il n'aurait même pas misé A-10 pour value car (dans son esprit) il n'aurait été suivi que par une meilleure main, ce qui ne laisse que des fulls dans son éventail de mains. Antonius ne peut battre aucun d'entre eux et relance par erreur pour value avec le plus petit full. Mais la main n'est pas terminée car l'action revient sur Negreanu, qui doit suivre à nouveau 100 000 $ avec une cote de 3 contre 1, ce qui est une situation ennuyeuse car Antonius a obligatoirement certains types de mains : 5-5, 10-10, 10-9, Q-10 et Q-Q sont les fulls possibles et celui avec 55 est le seul que Daniel peut battre. Mathématiquement, il semble y avoir de l'espoir, mais les apparences peuvent être trompeuses...
Au final, 10-9 suité n'est pas envisageable, Q-10 suité est la seule combinaison suitée restante et je ne pense pas que Patrik open en early avec Q-10 dépareillés. Il y a une combinaison de 10-10, et Q-Q passe probablement au turn contre deux joueurs. Daniel est donc confronté à 10
10
, Q
10
ou trois combinaisons de 5-5, et obtenir une cote de 3 contre 1 contre deux joueurs est une grande chance ici. Cela est évidemment simplifié, car vous devez intégrer à l'équation la probabilité de jouer chaque main de cette façon : 10-10 est parfaitement logique, Q
10
également alors que 5-5 semble être un peu surjoué. Je pense que l'erreur de Daniel est aussi de ne pas suffisamment connaître son adversaire : Daniel ne pense pas que quelqu'un le relancerait sans full supérieur dans cette situation particulière. Et il va plus loin : puisqu'il sait qu'il miserait seulement un full house, Daniel soustrait le bottom full, puisque personne ne relancerait la rivière avec cette main, sachant que son opposant a aussi un full. Comme vous l'avez vu, Daniel prend la mauvaise décision. Résultat ? Il laisse un pot de 300 000 $ à Patrick Antonius.
Le verdict de Gus Hansen
Phil Ivey : 8/10
Poker solide, bonne lecture !
Patrik Antonius : 5/10
Il a voulu jouer en "trap", ne sachant pas qu'il était celui qui était piégé, et il s'en sort comme une fleur. Mais on ne peut pas lui donner une bonne note. Préflop, flop et turn : c'est OK. En revanche, à la rivière, il commet une erreur importante.
Daniel Negreanu : 3/10
Coucher la meilleure main, et ce même si vous avez de bonnes raisons de le faire, se reflètera toujours sur votre carte de score. Préflop, au flop et au turn tout est OK, mais la river est un désastre.
À l'issue de cette main, "Kid Poker" prend donc, une nouvelle fois, une mauvaise décision dans un show télévisé qui ne lui réussit décidément pas depuis sa création, perdant ce pot de 311 500 $. Une main dont on peut tirer quelques enseignements supplémentaires selon Gus Hansen : "Ce que l'on peut apprendre de cette main ? Que dans ce cas particulier, mais aussi au poker en général, quitte à commettre une erreur, autant être agressif lorsqu'on le fait : après tout, vous ne savez jamais quel genre de mains votre adversaire peut folder !" N'est-ce pas, Daniel ?
Et vous, auriez-vous joué comme Daniel Negreanu sur la river ? Réagissez sur nos réseaux !
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