Il a gagné le dernier Vendée Globe virtuel devant plus de 820 000 joueurs, et en plus il joue au poker : deux bonnes raisons de poser quelques questions à Gilles.
Il y a un mois, Gilles Boulard a remporté le plus grand événement jamais organisé sur la plate-forme Virtual Regatta : le Vendée Globe virtuel, sous voile Winamax. Et visiblement, sa qualité de joueur de poker n’est pas étrangère à cette énorme performance. "Skipper Gilou" revient dans cette interview sur son deep-run dans son bateau de pixels, et nous raconte en quoi notre jeu préféré peut être fort utile lors d'un tel marathon.
Comment tu te sens, quelques semaines après ton exploit ?
J’ai repris une vie plus classique, on va dire. J’ai eu le temps de récupérer, parce que c’était quand même fatiguant sur la fin. J’ai repris un rythme normal, avec un peu plus de poker aussi à la place.
Ça fait quoi de battre plus de 800 000 joueurs ?
C’est cool, puisque c'est la plus grande des courses virtuelles de voile. C'était inespéré, car on ne prend pas le départ pour gagner… On a envie, forcément, mais on sait qu'il y a énormément de monde, qu'il y a des top joueurs qui font ça toute l'année, même si je savais que j'allais le faire à fond si je commençais, car je suis comme ça. Après, il y a une petite part de chance.
Pourquoi avoir décidé de tenter l'aventure ?
Mes cousins m'ont fait découvrir Virtual Regatta il y a quatre ans, pendant le confinement. Pui j'ai rejoins l'équipe de Club Poker à l'époque. Il y avait pas mal de joueurs du CP, j'ai donc fait une course avec eux. J'ai beaucoup discuté avec les anciens de cette équipe-là. Ils avaient déjà un Discord assez actif, parce qu'ils sont un peu plus try hard que l'équipe de mes cousins. Donc pour avoir de bons conseils sur le jeu, c’était là que ça se passait. Mais cette année, quand j'ai pris le départ, je n'étais pas parti pour faire une grosse perf'. Donc je me suis dit, on reste entre cousins, ce sera cool.
Qu’est-ce que tu retiens de cette épopée ?
Comme tu l'as dit, c'était une aventure ! Ça dure pendant deux mois et demi, on change de rythme. Et puis on fait nos petits tours du monde. On essaie de pas mal parler avec les autres joueurs parce que ce qui fait aussi le jeu, c'est la communauté qu'il y a autour, les échanges. On s'encourage, on se chambre, on regarde qui choisit telle option, on regarde les prédictions à plusieurs jours en se demandant pourquoi certains partent d’un côté, pourquoi d'autres sont partis là-bas, qui a eu de la chance... Il y a un côté social sur ce jeu-là parce que le jeu en lui-même ne l'est pas forcément. Quand on est sur l'application, il n'y a pas grand-chose à faire : on règle son bateau. Mais là, le gros du jeu, c'est le côté social-communauté qui prime, et toute la partie en dehors du jeu, qui est l'étude météo, etc. Cet aspect communautaire est important, je pense.
Tu joues donc aussi au poker… Tu as commencé comment ?
C'était il y a quinze ans. Avec des collègues de boulot, je crois. On se faisait des petits home games, à 5 € la cave. Et petit à petit, on s'intéresse au jeu, on regarde l'aspect théorique pour voir comment on peut gagner. Winamax, j'ai commencé en 2009 ou 2010, quelque chose comme ça, avant le ".fr" et l'ouverture du marché régulé. Après, j'ai eu plusieurs périodes. J'ai fait des pauses, parce que quand on a des enfants en bas âge, c'est compliqué de jouer. Mon format de prédilection, c'est le tournoi, online principalement, il y a plus de profondeur. Et puis, ça fait 2-3 ans que je fais un petit peu de live maintenant aussi. J'aime bien les jeux de manière générale, et s'il y a moyen de gagner avec de la stratégie et de la réflexion, je vais tout faire pour performer. C'est vrai au poker et sur Virtual Regatta.
"Le Vendée Globe virtuel, c’est un peu comme le Main Event des WSOP"
Ton pseudo, c’est "AbbeYvain", qu'on peut comprendre en langage poker comme "ABI 20". Cela correspond à tes limites de jeu ?
En fait, c'est l'objectif qui est dans le pseudo. En ce moment, je joue des buy-ins compris entre 5 et 20 €. J’ai quelques petites perfs autour des 1 000 euros. J'ai gagné l'un des derniers Cocktails, et j’ai fait une table finale sur un tournoi à 50 € des Wina Series de septembre, pour environ 3 500 €. Je fais aussi des Expresso quand j’ai cinq minutes qui traînent. Il y a deux, trois ans, j’ai remonté une bankroll en Expresso, mais j’ai fini par m’ennuyer, je suis retourné sur les tournois. Je suis légèrement gagnant, le poker est un plaisir.
On a l’impression que le Vendée Globe virtuel, une course au long court, pourrait être assimilée à un gros tournoi de poker…
Il faut battre beaucoup de monde, et puis à la fin, il faut un peu de chance aussi, évidemment. Le Vendée Globe, c’est un peu comme le Main Event des WSOP, sauf que c’est tous les quatre ans, il n’y en a pas beaucoup. Et c’est plus long qu'un tournoi, car ça dure deux mois et demi, mais c’est un peu le même principe, ça fonctionne par élimination. Au bout d'un moment, on lâche ceux qui sont derrière, même si on sait que l'on peut revenir ensuite. Quand on arrive au Cap Horn, on est encore peut-être 20 000 ou 10 000 adversaires à avoir une chance. Quand on arrive vers le Brésil, on est proche de la table finale quasiment pour cette course-là, même si des fois, ça se termine au sprint. Sur cette édition, on était déjà une petite échappée. Et puis à partir du passage de l’Équateur, c'était le heads-up. Le petit duel final sur les derniers jours.;
Donc jouer un tournoi sur plusieurs jours, c'est une bonne préparation pour un Vendée Globe virtuel ?
Effectivement, on retrouve cet aspect de performance dans la durée. C'est ça qui me plaît. J'ai l'impression que c'est là où je peux faire la différence, c’est une force que j’ai. Mais Virtual Regatta, c'est particulier, parce qu'on n'est pas forcément tout le temps sur le jeu, on a tous une vie à côté avec des impératifs. Et si on a un peu plus de temps ou de disponibilité, on peut faire la différence à certains moments. Alors qu'en tournoi, quand on est à la table, il y en a qui sont plus ou moins focus, qui vont regarder leur match de foot ou autre chose. C'est un petit peu différent dans l'approche tout de même. Il y a une part de chance, une part de skill, une part d'endurance, une part de mental. C'est un tout.
Est-ce que tes compétences au poker ont pu t’aider dans ton aventure ?
Il y a beaucoup de parallèles, cela m’a aidé sur certains points. Il y a l'aspect régularité, car cela dure deux mois et demi. Il y a des mises à jour quatre fois par jour, dont celle de 4-5 heures du matin, qui fait un peu mal. Elle fatigue sur la longueur, parce qu'on se lève, on se recouche, et il ne faut pas en rater une, ou quasiment. Ensuite, il y a l'aspect gestion du risque : quand on décide de partir d'un côté ou d'un autre, ou de prendre une option qui n'est pas forcément l'option conventionnelle. Mais ce sont des risques mesurés : on sait que si on part là-dessus, on ne va pas totalement foirer une course, qu'on a une espèce de plan B pour se remettre dans le peloton. Il faut savoir mesurer le risk/reward. C'est une histoire de probabilités aussi. Car la météo, ce n'est pas quelque chose de certain. Quand les probas te disent qu'il y a 30% de chances que telle route soit intéressante, il y a une part d'aléatoire. Il faut mettre tout ça dans la balance.
Et après, sur la fin de course, la partie mentale aussi est importante, car on peut craquer et faire n'importe quoi. Certains étaient dans le groupe de tête et ont pris des options qui n'étaient pas forcément les bonnes à l'instant-T. Il faut avoir un bon mental puisque, quand on est bord à bord, quand on n'est plus qu'une dizaine, il ne faut pas faire de bêtises. Ça travaille pas mal dans la tête, ça empêche un peu de dormir. Forcément, je me fais des scénarios dans la tête. Que va-t-il se passer ? Est-ce que je prends la bonne décision ? Et comme je n'étais pas favori sur ce jeu-là, ça fait réfléchir encore plus.
Tu joues donc aussi en live. Quels genre de parties ?
J’étais au SISMIX à Marrakeck l’année dernière, mais ça ne s’est pas bien passé du tout, je n’ai pas fait une place payée. Mais j’y retourne cette année [en tant que vainqueur de la Ligue Winamax sur Virtual Regatta, il a gagné un package pour deux personnes], et ça va changer ! L’année dernière, j’étais en solo, cette année ma femme va m’accompagner, donc il y aura une partie vacances aussi. Je n’ai pas encore fait mon programme, mais je ferai les classiques en journée. Le Main Event, le Monster Stack, le Mystery ou le Starter. Sinon, ma plus belle perf, c'était sur le mini SPS, le Swiss Poker Series d'il y a un an : un tournoi à 250 € que j’avais gagné [pour 7 192 €].
Tu as annoncé vouloir faire d'autres courses virtuelles prestigieuses, comme la Route du Rhum. Tu vises la Triple Crown sur Virtual Regatta ?
Il y a un classement monde sur Virtual Regatta, mais ça ne m'intéresse pas forcément. Il faut vraiment beaucoup jouer, et le jeu prend déjà beaucoup de temps. Je referai des courses, mais ça reste un plaisir avant tout. Et encore une fois, c'est très difficile d'aller gagner ces courses. Il y a plein de joueurs qui sont bien plus forts que moi. Mais il y a différents styles de courses. Des courses courtes, genre deux, trois jours, et ce n’est pas forcément là où je suis le meilleur. Moi, ce qui m'intéresse, c'est la lecture météo, le long terme. Si je peux aller gagner d'autres courses, j’essaierai, et ce sera pour, encore une fois, faire du mieux possible.
Propos recueillis par Rootsah
Crédits photos :
Poker : Fivebet
Les Sables-d'Olonne : Virtual Regatta
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