Flashback : les demi-finales
Retour sur un Day 7 crucial
Lorsque débute le septième jour du plus long tournoi du monde, seuls 0,37% des 7221 participants sont encore en course. Pour les 27 joueurs restants, la table finale semble à portée de main. Mais seulement neuf sièges sont disponibles : il n'y a pas de place pour tout le monde, et c'est à ce stade de la partie que la déception de l'élimination se fait la plus douloureuse. Tous les joueurs quittant le tournoi lors du Day 7 sont grassement récompensés pour leurs efforts (des centaines de milliers de dollars au bas mot), mais difficile pour eux de ne pas penser qu'ils ont frôlé du doigt l'immortalité pokérienne. En attendant le coup d'envoi de la finale, revenons sur cette phase cruciale des demi-finales.
Une manière de vous les raconter, ces demis de l'édition 2017 du Event des World Series of Poker 2017, serait de les découper en deux moitiés de durée plus ou moins égale. Il y aurait une première partie au rythme de jeu rapide et où le clan français est resté intact. Puis il y aurait une seconde phase tout autant nerveuse et frénétique, mais marquée par la sortie de deux des côtés du dernier carré de nos compétiteurs français. Au fur et à mesure de ces deux phases, l’intensité des enjeux s’est peu à peu dessinée sur le visage des joueurs : on pouvait discerner à l’oeil nu leur nervosité, leur excitation, leur anxiété à l’idée de manquer une table finale se faisant de plus en proche.
Ainsi, seules quatre heures de jeu ont été nécessaires pour voir le field initial de 27 joueurs chuter à 18. Les espoirs des allemands, notamment, allaient être réduits à zéro durant la première heure de jeu, avec les sorties rapides (une vingtaine de minutes) de Robin Hegele et Florian Lohnert. Le premier aura sûrement eu du mal à dormir au soir de sa sortie : avec un tapis le plaçant en 14e place sur la ligne de départ, il espérait probablement mieux que de recevoir d’entrée de jeu une paire d’As craquée par le As-10 de Jack Sinclair, à tapis avant le flop. Short-stack, le second perdra sa première confrontation avec une paire de 6 pas de taille contre les 9 de Christian Pham. Malgré un double-up d’entrée de jeu, Michael Sklenicka ne parviendra pas non plus à se sortir de la zone rouge, et perdra le peu de jetons qu’il avait après avoir floppé la top paire avec As-6 : Christian Pham, encore lui, détenait la paire supérieure. La première bonne nouvelle tricolore de la journée allait résulter en une autre élimination d’un short-stack, Benjamin Pollak remportant un coin-flip As-Roi vs 10-10 pour sortir Jake Bazeley en 25e place.
Tous ces coups se sont joués durant la première heure du Day 7. L’action n’allait guère ralentir lors de celle qui allait suivre. D’abord avec l’élimination
en 23e place de l’un des joueurs européens les plus emblématiques du boom du poker du début des années 2000 :
Marcel Luske. Le Hollandais Volant qui avait doublé son short-stack en début de partie, est sorti suite à un move que n’auraient pas renié les joueurs du début des années 2000 : un 3-bet/call all-in avec un As-8 loin derrière la paire de Valets de Benjamin Pollak. En souvenir du bon vieux temps, Luske quittera la scène avec une chanson. Ce n’est qu’un au revoir : son come-back ne se prolongera pas jusqu’en finale du plus gros tournoi du monde, mais les 263,532 vont renflouer de fort belle manière le pro old-school, dont la rumeur dit qu’il a été plus de fois broke dans sa vie que Phil Hellmuth n’a disputé de tables finales WSOP.
Un autre short-stack allait quitter la scène (
John Guay, dont la paire de 2 n’a pas tenu contre le As-Roi de
Valentin Messina), immédiatement suivi par
Jonas Mackoff, avec un As_9 resté derrière le As-Valet de pique de
Jack Sinclair. 7e en jetons au départ de la journée,
Randy Pisane allait sauter en 20e place, bad-beaté par le favori du public
John Hesp (photo). Certes, le retraité anglais aux costumes flashy et aux moves bien éloignés du jeu GTO a un poil sur-joué son As-9, optant pour une relance puis un call du tapis de Pisane sur un flop 10-9-2, et craquant sa paire de Dames avec l’apparition d’un As sur le turn, mais était-ce une raison pour repousser la main tendue par Hesp une fois la dernière carte tombée ? D’autant que Pisane avait carrément cramé des jetons un peu plus tôt, payant une grosse mise de Hesp sur la rivière avec une simple pocket paire de 4 : Hesp était loin devant avec la couleur. Pas toujours en carnaval, le papy ! Plus finaud qu’il n’y parait, le doyen du tournoi parviendra ensuite à éviter la casse lors d’une confrontation TT/AA face à Jack Sinclair.
Niveau spectacle, le meilleur était à venir avec
l’élimination en 19e place de
Christian Pham. Vous savez, celui qui était chip-leader en début de journée, celui qui était quasiment dernier au classement la veille, celui qui fêtait le deuxième anniversaire de son bracelet remporté sur un tournoi de Deuce to Seven pour lequel il s’était inscrit par erreur, bref celui qui offrait l’un des profils les plus atypiques de la fin du tournoi ? Hé bien, ce Christian Pham a plus ou moins explosé en plein vol, perdant tous les coups dans lesquels il s’est engagé avant de payer ses derniers 10 millions avec A
3
sur un turn A
K
10
7
. Une belle main mais un mauvais timing, le dernier de son Main Event : Benjamin Pollak avait floppé le brelan d’As. "
Cela m'a fait de la peine pour lui", dira plus tard Benjamin Pollak, vainqueur d'un coup qui le propulsera dans les cîmes du classement, une position qu'il ne quittera plus ensuite.
"Il était tout content d'être là, il entame les demi-finales chip-leader : en fin de compte, il ne gagne même pas un palier de gains !"
La première partie des demi-finales s’achevait. Il n’était même pas 17 heures et les deux dernières tables étaient constituées. Nos quatre français étaient répartis à parts égales autour de ces deux tables : un Antoine dans la moyenne et un Benjamin énorme d’un côté, et des Valentin et Alexandre en difficulté de l’autre, le premier ayant vécu le pire départ possible en début de demi-finales après plusieurs showdowns cruciaux perdus… Saout allait reprendre un peu d’air en éliminant Richard Gryko grâce à un coin-flip gagnant (10-10 vs K-Q off). C’est peu après qu’on allait assister au plus gros pot du tournoi jusqu’à présent : 68 millions (soit le tapis de départ de 1360 joueurs !) remporté par l’anglais Jack Sinclair suite à un setup probablement inévitable : les Rois contre les Dames, jouées à tapis sur un flop 10-8-4 offsuit tout ce qu’il y a de plus sec. Un pot massif provoquant l’élimination de Michael Krasienko en 17ème place.
Alexandre Réard n’était pas mécontent de voir deux joueurs sortir avant lui, franchissant des paliers de gains cruciaux. Avec son short-stack, son unique move possible depuis quelques tours de jeu se résumait aux mots « all » et « in ». Et c’est sur une relance à tapis préflop de ce genre que le français allait
quitter la scène, avec un As-Dame pas de taille contre le As-Roi de carreau de
Ben Lamb. Une 16ème place forcément frustrante pour celui qui n’a cessé de monter en puissance en live en 2017, mais représentant tout de même le plus gros gain de sa carrière : 340,000 dollars.
Une mauvaise nouvelle allait en chasser une autre dans le clan français,
Valentin Messina rejoignant Réard dans le rail en 15e place. Pas le résultat escompté pour le qualifié Winamax, qui avait joué un poker quasi parfait, peut-être le meilleur de sa carrière, et était arrivé au septième jour du Main Event parmi les chip-leaders. Mais l'histoire n'est jamais écrite d'avance. Forcé d'enclencher le mode "short-stack/serrure" après plusieurs gros pots perdus, dont un check/raise payé perdant face à un brelan, le champion du France Poker Tour 2010 et runner-up de l'EPT Malte 2015 tombera lui aussi face à un Ben Lamb décidément peu clément envers les français. 450 000 dollars de gains, c'est loin des 8,5 millions de dollars qui iront au vainqueur ce soir : la déception est immense, mais Valentin, qualifié pour 750 euros sur Winamax, pouvait quitter le Rio avec la satisfaction d'avoir pu tenir tête aux plus grands.
De retour de pause-dîner, le reste des demi-finales allait se jouer en accéléré, avec les sorties successives de Karen Sarkisyan (14e pour 450,000$), Scott Stewart (13e pour 535,000$ : le sosie officiel du rappeur Action Brunson fut plutôt malchanceux sur ses allins préflop au cours de la journée), et Richard Dubini, 12e pour la même somme et lui aussi peu en veine, ses deux Dames ne tenant pas contre le As-2 d'un Scott Blumstein désormais chip-leader après un run phénoménal post-dîner.
Après l'élimination de Pedro Oliveira en 11e place (deux paires As-9 pas max contre la couleur floppée de John Hesp), la pré-finale à dix était prête. Elle n'allait pas durer longtemps : on aura le temps d'y voir un hero-call dantesque de Scott Blumstein (dix millions payés avec 10-10 sur une rivière 9-7-3-6-As face à Jack Sinclair), et un double-up du miraculé Bryan Piccioli contre un Michael Ruane à qui il ne resterait plus qu'une poignée de jetons ensuite. November Nine en 2016, Ruane manquera d'un cheveu un historique back to back : son élimination en dixième place à 1h30 du matin mettra fin aux demi-finales…
Soudain, ils n’étaient plus que neuf…