WSOP 2017 : le point à mi-parcours
36 des 74 bracelets ont été distribués - Des tas de vainqueurs connus - Pas de place pour les petits nouveaux ? - Les français déçoivent, sauf lorsqu'ils s'appellent ElkY ou Fabrice Soulier - Affluence en berne sur les épreuves chères - Les grosses boucheries No Limit font toujours recette - Quelques controverses viennent bousculer la routine quotidienne
L'amour triomphe toujours
Comme l'a titré Harper le 3 juin dernier, ces World Series of Poker se sont ouverts sur le pouvoir de l'amour. Pour sa toute première édition (après un premier essai à 1 000 dollars en 2016), le Tag Team Championship à 10 000 dollars l'entrée a offert au public un joli moment dès le coup d'envoi du festival et, au passage, leur premier bracelet au couple Liv Boeree/Igor Kurganov, qui se sont partagés 273 964 dollars. Et si, dans les faits, l'Anglaise n'a joué qu'une vingtaine de minutes sur les six heures qu'a duré la finale, le Russe est celui qui a le plus laissé sa place de tous les joueurs présents autour de la dernière table. Difficile donc de ne pas y voir une véritable victoire conjointe, qui donne du même coup "une vraie raison de vivre au tournoi." Un sacre d'autant plus beau qu'il est loin d'être galvaudé, face notamment à des pointures de la trempe de Martin Jacobson, Mark Radoja ou encore Daniel Negreanu. Un vrai bel instant d'émotion.
No Limit Hold'em : gros fields pour gros vainqueurs
On a beau le savoir à chaque fois, le phénomène ne cesse de nous émouvoir. Comme depuis son lancement en 2015, le Colossus a déplacé les foules pour sa troisième édition. Si cette mouture 2017 a enregistré une nette baisse d'affluence par rapport à 2016, où 21 613 curieux issus de toute la planète poker étaient venus s'affronter, 18 043 inscriptions ont tout de même été recensées cette année, permettant de remplir allègrement l'Amazon et la Pavillion Room du Rio. Au bout du compte, et après quatre jours de dur labeur, c'est l'Américain Thomas Pomponio qui est reparti avec le bracelet. Et le prix garanti d'un million de dollars ? Eh bien pas tout à fait, puisque devant le payout officiel on ne peut plus déséquilibré - un million au vainqueur donc mais "seulement" 545 000 dollars au runner-up - Thomas et son ultime adversaire Taylor Black ont décidé de signer un deal. Un arrangement qui ne reste valable qu'entre eux, l'organisation des WSOP ayant depuis longtemps arrêté de servir d'intermédiaire dans les tractations (la pratique reste très courante sur d'autres gros circuits, comme feu l'EPT). C'est ainsi que Taylor s'est assuré 805 000 dollars, laissant 695 000 et les 45 000 dollars de la gagne à Pomponio. À noter également autour de cette table finale : la présence d'un certain Matt Affleck, qui n'a pas usurpé le surnom que lui a donné Harper d'"Homme qui aimait la foule.", pour sa capacité à deep run les tournois aux fields gigantesques. Sa huitième place lui a rapporté 103 090 dollars.
Mais parce qu'aux WSOP encore plus que sur n'importe quel festival de poker, les héros d'hier sont appelés à être très vite remplacés par ceux du lendemain, c'est Pablo Mariz qui a occupé le devant de la scène quelques jours plus tard. Déjà deuxième du Tag Team Tournament à 1 000 dollars en début de festival, ce jeune canadien (qui comptait moins de 40 000 dollars de gains en tournoi avant de remettre les pieds à Vegas cet été) est allé cherché le bracelet et un gain de 1 221 407 dollars sur le bien nommé Millionaire Maker à 1 500 dollars. Un de ces tournois faiseurs de rêve comme il en existe des dizaines à chaque édition des WSOP, et qui a lui aussi réuni une affluence monstre de 7 761 inscriptions.
Petit nouveau à l'affiche cette année, le Marathon Event et ses 2 620 dollars de buy-in - correspondant aux 26,2 miles (42,195 kilomètres) que dure un marathon - a lui aussi fait le plein avec 1 759 entrées. Étalé sur cinq jours avec ses niveaux de 100 minutes, cette épreuve qui ressemblait à s'y méprendre à un mini Main Event a permis à Joseph Di Rosa Rojas de rafler le jackpot de 690 469 dollars et d'offrir à son pays, le Venezuela, le tout premier bracelet de son histoire.
Et puisque l'on parle de gros fields, comment ne pas citer ce Seniors Events record à 5 389 inscriptions, qui a vu la victoire d'un parfait inconnu de l'Illinois, Frank Maggio, tout heureux de s'adjuger le pactole de 617 303 dollars.
France : les anciens montrent le chemin
Les années passent et les vieux roublards de ce jeu ne trépassent pas tous, fort heureusement !
En atteignant la table finale du One Drop,
ElkY a renoué avec le succès, la gloire et les dollars, lui qui n'avait plus atteint de table finale aux WSOP depuis 2013. Il encaisse 2,27 millions de dollars grâce à ce tournoi, ce qui représente tout simplement le gain le plus important de sa carrière. Son compère de toujours,
Fabrice Soulier, a quant a lui fait presque aussi bien en atteignant deux tables finales cet été, d'abord sur le
10 000$ Omaha Hi Lo Championship où il s'incline 4e, puis quelques jours plus tard à peine, en terminant
3e d'un 8 game Mix à 1 500$, pour un total de gains de 177 000$. On a beau dire ce qu'on veut, mais les "anciens" de ce jeu sont toujours bel et bien en place lorsqu'il faut répondre présent dans les grands rendez-vous.
Hors de ces très belles performances d'ElkY et Fabrice, le clan français n'a pour le moment fait que très peu de vagues : les 71 autres tricolores ayant collecté au moins un ITM sur les 36 premières épreuves des WSOP cumulent 500 000 dollars de chiffre d'affaire seulement, soit un gain de 7000$ par joueur en moyenne. Comme cette chiffre ne prend pas en compte les buy-ins perdus, on peut supposer que la plupart des français affichent une perte sèche Voyons le bon côté des choses : historiquement, les français (et le reste des européens) accomplissent leurs meilleures perfs lors de la seconde moitié des WSOP… tout simplement parce qu'ils sont plus nombreux à être présents à Vegas à ce moment-là. Et puis, on a tout de même pu vibrer sur les quatre ITM de Louis « labrik » Linard (demi-finaliste du 6-max à 5000$ en compagnie de Dan Abouaf), Alexandre Luneau (brièvement aperçu en finale d'une épreuve de Mixed Games), ou encore Julien Martini (8e parmi 959 joueurs d'un No-Limit à 3000$) et de Sylvain Loosli, Romain Lewis, Gaëlle Baumann, Guillaume Diaz, Aladin Reskallah et Ivan Deyra, qui ont tous inscrit à leur palmarès une ou deux lignes depuis le début des WSOP. Afin de consulter l'ensemble des ITM français des WSOP 2017, nous avons mis en place un fichier Google Doc actualisé jour après jour.
Le meilleur est-il à venir ? Il ne nous reste qu'à l'espérer.
Ils ont encore frappé cette année
Un seul coup d'oeil à la galerie des vainqueurs lors des premiers jours de ces WSOP permettait de faire un implacable constat : en 2017, il n'y a pour le moment pas beaucoup de place pour les nouveaux venus. Sur les 21 premiers bracelets distribués, onze ont été accaparés par des joueurs qui détenaient déjà au moins un titre de Champion du Monde. Upeshka De Silva, Benjamin Zamani, Doug Polk, Jesse Martin, Abe Mosseri, David Bach, David Pham, Frank Kassela, David Singer, Adrian Mateos et John Monnette : on ne va pas se mentir, ce « onze » a franchement de la gueule. La palme revient à Mister Bach (photo, à côté de Jason Mercier) qui, quelques jours après son premier titre sur le Dealer's Choice à 1 500 dollars, a remis le couvert sur une épreuve on ne peut plus prestigieuse, le H.O.R.S.E. Championship à 10 000 dollars. Le voici désormais plus que jamais en course pour devenir le sixième joueur à réussir un incroyable triplé en un seul été.
Et des triplés parlons-en, puisqu'ils ne sont pas moins de cinq à avoir décroché leur quatrième breloque cette année, à commencer par un Doug Polk dont nous avons déjà beaucoup parlé dans ces colonnes, ainsi qu'un Adrien Mateos impressionnant de sérénité sur le Heads-up Championship, maîtrisant de A à Z sa finale contre le revenant John Smith (photo). Plus discrets mais tout aussi efficaces, John Monnette et Frank Kassela ont à nouveau fait étalage de leur polyvalence avec, pour chacun, une troisième victoire dans une troisième variante différente. Enfin, notons le retour aux affaires de David Pham. Comptant parmi les meilleurs joueurs de la planète dans la première moitié des années 2000, 'The Dragon' montre qu'il reste une valeur sûre malgré le poids des années.
Leur première rugissante
Parfois, on vous raconte l'histoire d'un joueur qui débarque à Las Vegas pour la première fois, dispute le premier event de sa vie, et remporte ensuite le premier bracelet de sa carrière, finger in the nose. Mais parfois, ça ne se passe pas toujours comme ça non plus… Nombreux sont les joueurs qui se sont fait un nom dans ce milieu, collectionnant les finales et les titres de moyenne envergure sans jamais pour autant atteindre le titre ultime, autrement dit le bracelet. Cette année 2017 a permis de débloquer (enfin) le compteur de quelques gros joueurs. On pense ainsi à John Racener, qui a dû batailler pendant dix ans afin de remporter sa première breloque ! L'Américain a finalement pu soulever fièrement ce bijou, après s'être adjugé l'event 17, un tournoi Championship à 10 000$ en Dealers Choice. Outre l'argent (il a pris près de 274 000$), Racener a surtout pu retirer un poids qui le poursuivait depuis des années, lui qui était entré dans la lumière en 2010 à l'occasion du Main Event, où il avait dû s'incliner… en deuxième position !
Quand on pense à de grands champions qui viennent enfin de soulever le bracelet, on pense aussi forcément à Chris Moorman. La machine Anglaise qui a pratiquement tout gagné online (plus de 14 millions de dollars de chiffre d'affaires devant son ordinateur !) n'avait encore jamais vaincu sur les WSOP. C'est désormais chose faite, grâce à sa victoire sur l'event 17, un 6-max à 3 000$. Sa réaction à l'apparition de la dernière river de ce tournoi qui lui offrait la victoire, fut à la mesure de l'exploit. Moorman, qui est si calme en apparence d'habitude, a pu laisser exploser sa joie, en compagnie de quelques bons amis Anglais à lui, jamais les derniers pour créer une magnifique ambiance dans le rail. Ce bracelet arrive comme une évidence au poignet du britannique et pourtant, il lui aura fallu neuf participations aux WSOP pour enfin y arriver. Comme quoi, l'abnégation ça paye un jour ou l'autre.
Enfin, mention spéciale aussi pour James Obst, vainqueur du 10 000$ Razz. L'Australien a souvent été mis sous les projecteurs (13e du Main Event l'an dernier, runner up du 10 000$ Horse la même année, 3e d'un Stud à 10 000$ en 2014, runner up de l'event 7 cette année) sans jamais réussir à vaincre. Ces problèmes font désormais partie de l'histoire ancienne, et James Obst semblait plus heureux que jamais de remporter ce bracelet. Le Graal est compliqué à ramasser, et même lorsqu'il s'agit d'un Top Reg, la joie est décuplée lorsqu'il s'agit de parader avec un bracelet dans le Rio.
Variantes : où sont les joueurs ?
C'est devenu un problème récurrent cette année : beaucoup de tournois voient leur affluence stagner, voire baisser, et tout particulèrement les tournois « Championship » - c'est le label apposé aux épreuves les plus chères dans chacune des variantes : 10 000$ dans la plupart des cas. Aucun de ces tournois organisés en Deuce to Seven, Stud High-Low, HORSE, Dealer's Choice, etc n'a réussi à faire mieux que 2017 en terme d'affluence, avec des baisses de fréquentation pouvant aller jusqu'à 20%. « On est plus proche d'un bracelet comme ça ! » Jean Montury voyait le verre à moitié plein lors de l'épreuve de H.O.R.S.E. Revers de la médaille : « Il y aussi moins d'argent à la gagne. » Et moins de prestige ? Certains joueurs auraient-ils décidé de faire une croix sur ces tournois pour se concentrer sur autre chose de plus juteux, comme le cash-game ? La concurrence des gros tournois et de la salle de CG de l'Aria, nouveau sanctuaire high-stakes depuis quelques années, semble avoir détourné l'attention de plusieurs stars, certaines n'ayant pratiquement pas mis les pieds au Rio depuis le 1er juin. Au hasard, on pense à Fedor Holz (en photo, l'une des rares que nous avons prises de cet été) même si, à sa décharge, l'allemand a annoncé il y a déjà un moment son (relatif) retrait des tables. On l'a uniquement vu sur le One Drop à 111 111$. Et encore ; son aventure n'aura pas duré très longtemps, alors qu'à l'Aria, Fedor cumule déjà deux victoires et une deuxième place dans des tournois à 10 000 et 50 000$ l'entrée (total de ses gains : 800 000$). Citons aussi Scott Seiver, grand régulier des WSOP devant l'éternel. Présent à Vegas, et in sur quelques tournois, il n'a que rarement pointé le bout de son nez au Rio. Si quelqu'un a des nouvelles de Brian Hastings aussi, qu'il se manifeste : l'Américain avait gagné deux bracelets en 2015 et réalisé neuf ITM l'an passé, mais nous ne l'avons pas encore vu cette année.
Des cartes douteuses et un système de points bancal
Cards at WSOP are a total disgrace after 1 round they are all marked. They get them for free & can care less about players #wsop2017
— Mike Matusow (@themouthmatusow) 7 juin 2017
S'il faut bien avouer que les scandales et autres esclandres sont pour l'instant peu nombreux cette année au Rio, un sujet fait tout de même beaucoup parler depuis le lancement du festival : la qualité des cartes à jouer. Trop fines, leurs dos se "marqueraient" trop facilement, ce qui permet aux yeux aiguisés (et manquant d'éthique) de les reconnaître face cachée : cela peut avoir un impact énorme au cours de la partie, en particulier lors des jeux de tirage comme le Deuce-to-Seven. Si plusieurs voix influentes - dont celles de Mike Matusow et Doug Polk, qui a demandé leur remplacement en pleine finale du High Roller for One Drop - se sont élevées pour pointer du doigt ce souci de taille, l'organisation choisit pour l'instant de faire la sourde oreille, argumentant que les cartes sont identiques à celles de l'édition 2016, année où les plaintes furent beaucoup moins nombreuses.
I hate to complain about something, when I am having such an amazing summer, but how am I 14th in POY with 2 bracelets @wsop @RealKidPoker
— david bach (@gunslingerbach) 18 juin 2017
"J'ai horreur de me plaindre alors que je vis un été fabuleux, mais comment est-ce que je peux n'être classé que 14e au classement POY avec deux bracelets remportés ?"
Autre matière à débat, la nouvelle méthode de calcul pour déterminer du classement Player of the Year (POY). Alors que le classement Global Poker Index faisait foi lors des années récentes, les WSOP se sont alliés depuis cette année au King's Casino de Rozvadov, pour un résultat sensiblement différent. Car là où le GPI accorde davantage de points aux tournois aux buy-ins élevés, au premier rang desquels les épreuves Championship, le nouveau classement privilégie les épreuves à gros field. Exemple frappant : Pablo Mariz est actuellement premier du classement officiel, mais seulement treizième selon le GPI. De quoi semer la confusion du côté de têtes d'affiche comme David Bach et ses deux bracelets dans des épreuves de spécialiste (voir plus haut) ou encore Daniel Negreanu. Au-delà du simple aspect comptable, la question reste entière chaque année : est-ce plus dur de remporter un bracelet face à un field réduit mais de qualité ou contre beaucoup plus de joueurs, mais au niveau moyen a priori plus faible ? L'organisation semble avoir fait son choix.
Quelques chiffres pour finir
2 966 201 : en dollars, les gains bruts des joueurs Français depuis le début de ces WSOP. Chiffre qui tombe à 677 121 si l'on enlève la seule deuxième place d'ElkY sur le High Roller for One Drop.
73 : le nombre de joueurs Français déjà rentrés dans les places payées, depuis les 2 289 080 dollars d'ElkY sur le One Drop, jusqu'au 750 dollars de Rémi et Alexandre Blanc sur le Tag Team à 1000$.
9 : le nombre de tournois remportés par des joueurs non-américains. Des perfs signées Liv Boeree (UK) et Igor Kurganov (Russie) en équipe, Adrian Mateos (Espagne), Pablo Mariz (Canada), Joseph Di Rosa Rojas (Venezuela, une première pour cette nation), James Obst (Australie), Chris Moorman (UK), Vladimir Shchemelev (Russie), Christopher Frank (Autriche), et Rifat Palevic (Suède)
8 : le nombre de tournois retransmis sur PokerGo, la plateforme de streaming officiel de ces WSOP.
5 : le nombre de joueuses qui ont atteint une table finale sur ces WSOP, à savoir Ester Taylor Brady (par deux fois), Liv Boeree, Nancy Nguyen et Gina Bacon. Aucune victoire féminine jusqu'à présent.
0 : Le nombre de bracelets Français au 21 juin. On attend toujours de débloquer ce compteur depuis... 2014 ! Oui, ça commence à dater (Hugo Pingray, reviens !)
27 : le nombre de journées de "coverage" qu'il reste au programme de vos reporters préférés, jusqu'à la constitution de la table finale du Main Event. C'est garanti : on a encore plein d'occasions de vibrer !
Flegmatic et Veunstyle72