Interview de Yann Kermorgant

Interview de Yann Kermorgant

Après une expérience difficile surmontée dans sa jeunesse, Yann Kermorgant s’est relevé et s’est fait un nom en Angleterre.

À 35 ans, Yann Kermorgant a connu plus d’équipes anglaises que françaises. Formé au Stade Rennais, l’attaquant s’est tout de suite adapté à l’ambiance british et vise une nouvelle montée cette saison. Cette fois avec Reading !

Tu as débarqué cette saison dans un club classé 17e l’année dernière. Aujourd’hui, vous êtes en course pour la montée. Pourquoi avoir fait le choix osé de Reading ?

Mon temps de jeu s’était réduit à Bournemouth. L’arrivée d’un attaquant supplémentaire a compliqué les choses et je n’étais pas intéressé par le banc, même en Premier League. J’ai préféré partir, j’avais pas mal d’opportunités en Championship. Pour la vie de famille, on voulait retourner à Londres et l’opportunité de Reading s’est présentée.

N’as-tu pas pensé à un retour en France ?

Non. Je n’en avais pas l’envie et la demande n’était pas réelle. Le Championship me convient parfaitement.

On se souvient de Jaap Stam sur les terrains. Comment est-il sur le banc de Reading ?

Il n’a plus le même comportement en tant que manager qu’il avait en tant que joueur, à savoir plutôt agressif. Bien sûr, il a une présence forte et un charisme important mais c’est surtout un mec droit. Tu as envie de l’écouter. J’ai une excellente relation avec lui. Dans le jeu, il propose vraiment quelque chose d’intéressant, que ce soit en 4-3-3 ou en 3-5-2.

Tu as découvert le Championship en 2009 avec Leicester. Peut-on dire que le titre de champion de Premier League en 2016 est un peu grâce à toi ?

J’ai très peu joué finalement à Leicester et le club a connu de nombreux changements depuis mon passage. J’ai suivi leur fabuleux parcours comme n’importe quel fan de football. C’était exceptionnel mais je ne me suis pas dit « J’aurais pu être là… » Pas du tout ! J’étais seulement admiratif.

D’ailleurs, durant cette expérience, tu rates une panenka en playoffs. J’imagine qu’on doit te rappeler régulièrement ce geste…

La preuve, tu m’en reparles ! C’est souvent mentionné dans le programme des matchs à l’extérieur qui détaille le profil des joueurs adverses. Je l’ai tenté pour différentes raisons : le gardien a anticipé sur le côté les premiers tirs, donc je me suis dit « Je ne vais pas tirer fort, je vais assurer en la piquant au milieu ». Je n’étais pas en confiance vu le peu de temps de jeu que j’avais eu durant toute la saison, je venais de rentrer en jeu et il n’y avait pas beaucoup de volontaires. On va dire que je n’étais pas dans les meilleures dispositions. Le gardien avait vu que j’avais déjà tenté ce geste dans des matchs précédents dans ma carrière et il m’a grillé.

Pour revenir à Bournemouth, tu avais une relation particulière avec le coach Eddie Howe. Peux-tu nous raconter cela ?

Quand il m’a recruté en 2014 en Championship, il m’a dit « Ce n’est pas dans mes habitudes de prendre un joueur de ton âge mais je pense que tu peux être la dernière pièce du puzzle pour nous. » Il m’a fait comprendre que j’étais utile à l’équipe et que je pouvais lui permettre d’aller plus haut. J’aimais leur style de jeu et la philosophie qu’il voulait mettre en place. Cela a marché tout de suite puisque je marque un triplé sur le premier match où je suis titulaire à domicile. Pour mes coéquipiers et les fans, c’était parfait. C’était une équipe avec des éléments ayant gravi les échelons avec le club jusqu’à atteindre la Premier League en 2015.

As-tu un regret de ne pas avoir réellement connu cette division justement ?

Bien sûr, il y a des regrets. Quand nous sommes montés, j’avais de réels objectifs avec l’équipe. Je venais de faire une saison pleine avec beaucoup d’éloges sur mon jeu. La saison suivante a été compliquée. Dès la reprise, le coach n’a pas hésité à me « couper la tête ». Il voulait des joueurs plus rapides et surtout il a changé de système en ne jouant plus avec un élément derrière l’attaquant qui était mon poste lors de la montée. Je pense malgré tout que j’aurais mérité ma chance, au moins pour lui prouver que j’étais capable de jouer un rôle dans le championnat. Pour la première rencontre de la saison, il est reparti avec la même formation, sauf moi… Forcément, à partir de là, tu perds la confiance. J’avais également été blessé par un tacle par derrière reçu par mon capitaine lors d’un entraînement juste avant le dernier match de préparation et cela m’a aussi porté préjudice. C’était compliqué.
On nous a dit que tu n’étais pas fan du travail physique.

Comment sont les entraînements en Angleterre ?

À Bournemouth notamment, c’était très physique avec des entrainements exigeants. Je ne suis pas un marathonien c’est certain mais je n’ai rien à envier aux jeunes. De toute façon, tu ne peux pas tricher ici. Tu as les statistiques de courses à chaque séance. Celui qui ne se donne pas est directement grillé. Par rapport à la Ligue 2 en France, ce ne sont pas les même moyens en termes de suivi, de statistiques etc… Les moyens financiers sont beaucoup plus forts donc on se rapproche plus des moyens des clubs de Ligue 1.

D’où te vient cette passion pour les reprises de volée que tu tentes dès que possible ?

C’est vrai que j’aime le côté spectaculaire des buts. Je ne tente pas une reprise seulement par plaisir, c’est surtout quand je sens que c’est le bon geste à faire. J’ai beaucoup travaillé cela dans mon quartier avec les potes. Je peux aussi marquer des buts de raccroc, cela ne me dérange pas tant que je suis utile à l’équipe.

Quelle place prenait le football dans ta vie lorsque tu as dû surmonter une grave maladie à l’âge de 14 ans ? Gardais-tu ce rêve dans un coin de ta tête ?

Je venais de signer au Stade Rennais après plusieurs années de négociation avec mes parents. C’était toute ma vie et je partais dans l’optique de réaliser mon rêve. Quelques mois après, on m’a détecté une leucémie. J’ai bien sûr eu des doutes mais j’étais bien entouré par ma famille. De plus, après ma leucémie et la fin de mes traitements, jai malheureusement eu des effets secondaires qui m’ont obligé à être en fauteuil roulant pendant une année scolaire donc forcément tu y crois moins… Je pensais seulement à remarcher et éventuellement un jour retaper dans un ballon. Dans cette épreuve, je n’ai pas senti le soutien du Stade Rennais, à part un entraineur qui me suivait. Je n’ai eu aucune nouvelle du directeur du centre du jour au lendemain. Mes parents ont très mal vécu cela et aujourd’hui en voyant où je suis finalement arrivé, je me demande aussi ce qu’il se serait passé s’ils ne m’avaient pas lâché !

Comment as-tu réussi à rebondir ?

Après des années de galère, j’ai été contacté par Vannes qui voulait que je signe avec la réserve en division d’honneur. Ils m’ont fait confiance grâce à un membre du club qui connaissait mes qualités et j’ai finalement intégré l’équipe CFA dès la reprise. J’ai mis un peu de temps à m’adapter à ce niveau, notamment sur le plan physique, car cela change de la première division de district… J’ai « profité » de la blessure d’un attaquant, ce qui m’a permis de faire tout le reste de la saison. Et c’est là que je me suis fait remarquer.

Session one-shot

Ton club préféré en France ?

Je n’en ai pas vraiment. Je suis attaché à Rennes puisque c’est mon club de coeur en jeunes. Quand j’étais gamin, j’étais un grand fan de l’Olympique de Marseille et de Jean-Pierre Papin. Aujoud’hui, je suis plus neutre mais je m’intéresse toujours à ce championnat.

La plus belle ambiance en Angleterre ?

En Premier League, j’ai adoré l’atmosphère de Manchester United. C’était fort. En Championship, Sheffield Wednesday, Leeds ou encore Brighton sont des clubs à grosse ambiance. Dans ces stades, tu fais 30 000 personnes facilement à chaque rencontre.

Le meilleur joueur avec lequel tu as évolué ?

Harry Arter qui a joué à Bournemouth. Il a gravi tous les échelons avec le club. Il a les deux pieds et tire parfaitement les coups de pied arrêtés. Sans oublier la grosse envie qu’il met sur le terrain.

En un mot, comment qualifierais-tu ton parcours de joueur ?

Atypique car j’ai dû repartir de zéro et j’ai finalement intégré le monde professionnel à 24 ans donc déjà vieux à ce niveau… Mon départ en Championship à l’époque était fait un peu dans l’inconnu mais c’était une excellente décision que ce soit sur le plan footballistique ou pour l’expérience de vie, avec notamment la différence de culture et l’apprentissage de la langue pour mon fils de six ans. Sincèrement, en Championship, ce n’est pas la même ambiance qu’en Ligue 2. Pour un match pour la montée entre Le Havre et Bourg-en-Bresse, je me souviens que j’avais été choqué par le peu de supporters au stade. Tu joues quand même l’accession en Ligue 1 mais les tribunes du haut étaient fermées ! Avec tout le respect que j’ai pour la Ligue 2, ce n’est pas comparable. Ici les gros matchs se font devant 20, 30, 40 voir 50 000 spectateurs comme cette saison contre Newcastle !